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une nécessité devant laquelle l’Europe ne peut reculer si elle ne veut pas faire un éclatant aveu d’impuissance. On l’a bien senti, puisque depuis plusieurs mois on a essayé de se concerter. On ne paraît pas avoir encore réussi, les conditions d’une entente restent à trouver. Il y a dans tous les cas une chose certaine que les gouvernemens occidentaux ne peuvent méconnaître, c’est qu’isolément ils ne feront rien. Ce n’est que par une action commune que l’Europe peut peser avec quelque efficacité sur le gouvernement de Pékin et réussir à préserver les intérêts de ses nationaux livrés à tous les excès de la barbarie chinoise.

Au moment où le Brésil en est encore à se débattre entre les séditions et les coups d’État, triste suite d’une révolution mal venue, celui qui fut si longtemps le souverain du jeune empire américain, l’empereur dom Pedro II, vient de s’éteindre à Paris. Il a pu mourir sans trouble et sans remords, enveloppé d’une dignité simple, dans une chambre d’auberge, gardant l’honneur du caractère, quoique déchu du trône, en paix avec lui-même et donnant sa dernière pensée à ceux qui l’ont exilé. Il y a deux ans maintenant qu’il avait perdu la couronne, — il avait régné cinquante-huit ans en prince bien intentionné et bienfaisant. Son histoire, c’est l’histoire presque tout entière du Brésil depuis qu’il est arrivé à l’indépendance. Ce descendant des Bragance, transportés sous l’empire à Rio-de-Janeiro, était né en 1825, dans les premiers orages d’une émancipation encore récente, au moment où ces vastes provinces, détachées de la couronne portugaise, venaient de former un empire nouveau en pleine Amérique du Sud. Il était le fils de dom Pedro d’Alcantara, l’héritier du roi Jean VI de Portugal, le premier empereur du Brésil, et d’une archiduchesse d’Autriche. Par sa naissance, par ses alliances, il tenait aux plus grandes races royales. L’abdication de son père, en 1831, l’avait fait empereur à l’âge de six ans, et son enfance, un peu délaissée, s’était passée sous des régences disputées, souvent changeantes, au milieu des troubles et des agitations d’une minorité prolongée. Il avait grandi et mûri dans les crises publiques, au spectacle des luttes des partis. Ce n’est qu’en 1841 que dom Pedro II, à peine âgé de quinze ans, proclamé majeur avant l’heure, prenait possession du gouvernement. Il entrait dans le règne pour un demi-siècle, et ce règne a été pour le Brésil une ère ininterrompue de paix intérieure, de progrès moral et matériel, de développement libéral sous un régime constitutionnel à peu près incontesté.

Cinquante années durant, dom Pedro II a été le souverain éclairé du jeune empire américain, s’étudiant à pacifier le pays, à concilier les partis, restant dans toutes les phases de son long règne, dans toutes les crises qu’il a eu à traverser, un prince constitutionnel, civilisateur et pacifique. Ce n’est pas qu’il n’ait eu des luttes, des guerres à