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Sancerre et le canton de Sancergues. C’est un pays plat, monotone ; aux couchers de soleil d’une grande tristesse, pays de grands domaines, entièrement adonnés à la culture du blé et à l’élevage de moutons très recherchés.

La Champagne et ses mornes étendues, ses fermes isolées, a aussi ses légendes rustiques ; mais quel pays n’en a pas ? La Champagne est hantée par les martes et les fades, esprits mâles et femelles, par les Demoiselles du Berry, et les Lupins ou Lubins. Le marte est voué à perpétuité au relèvement des menhirs épars sur les collines ; la fade est une horrible créature qui court, les cheveux flottans, après les laboureurs pour qu’ils les aident à des travaux tellement mystérieux qu’il n’en reste aucune trace. Les Demoiselles se tiennent presque toujours immobiles, et leur forme est si vaporeuse, que le cavalier attardé qui les rencontre ne peut distinguer ni leurs membres ni leurs visages. Elles sont inoflensives, mais terrifiantes lorsqu’il leur prend fantaisie de sauter en croupe d’un voyageur, lequel se sent tout à coup entouré par deux bras nus et glacés. Les Lubins ou Lupins sont des animaux fantastiques qui, la nuit, se tiennent debout le long des murs blancs des fermes isolées, et hurlent à la lune. On les dit très peureux, — moins peureux probablement que ceux qui disent les avoir aperçus, — et ils s’enfuient à votre approche en jetant des clameurs d’épouvante.

La Vallée-Noire ou le Boischaut (1) est un pays de garenne, de riantes vallées, de traînes aux ombrages mystérieux, qu’embaume le chèvrefeuille enlacé aux aubépines, où se rencontrent des landes couvertes d’asphodèles et de bruyères, des larges voies appelées communaux, où paissent les brebis sous la garde de jeunes bergères, des pacages hérissés d’églantiers et de buissons épineux respectés de la charrue depuis une époque qui semble remonter aux druides, et où coulent des rivières minuscules comme l’Angolin et l’Igneroux.

La Vallée-Noire comprend presque tout l’arrondissement de La Châtre, et son étendue est deux fois plus grande que celle de la Brenne et de la Champagne réunies. Séparez du Bas-Berry ce qui appartient à ces deux tristes et monotones contrées, et vous aurez au naturel les délicieux paysages de Valenti ?ie, d’André et de Jeanne de George Sand. C’est le Bocage vendéen avec bien plus de poésie, et sans les bourrasques de l’Océan qui se font sentir au loin. Qu’on unisse les beautés de la Vallée-Noire aux sites boisés du Haut-Berry, le Val, le Pays-Fort, la Forêt et Saint-

(1) Bocagium, Bochetus, Borcaliæ. Voir Du Cange.