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Les idées que M. Charcot a émises le premier sur la constitution psychologique de l’individu ont eu un grand retentissement dans le monde philosophique comme dans le monde médical. On en trouve la preuve dans de nombreux travaux publiés depuis ; chacun parle aujourd’hui du type visuel, du type auditif et du type moteur ; on en parle un peu à tort et à travers, on en use et on en abuse ; mais il reste un fait bien acquis, c’est que nous ne sommes pas construits tous sur le même modèle, c’est que nous avons chacun notre manière de nous souvenir, de penser, de raisonner, et que notre psychologie intellectuelle, comme nos sentimens et nos passions, porte une marque personnelle ; cette marque résulte en particulier de la prépondérance que certaines sensations et certaines images acquièrent dans nos habitudes d’esprit. Ceci sera facile à comprendre au moyen de quelques exemples ; empruntons-les à l’étude du langage intérieur.

Quand nous pensons avec un peu de netteté, mais sans parler, la pensée se présente à nous accompagnée de son signe. Ce signe, c’est un mot qui, dans ce cas, reste intérieur, et n’a pas assez de force pour s’exprimer au dehors par un mouvement ou un geste. Quelle est la nature de ce signe ? Il varie beaucoup suivant les individus, quoique chacun s’imagine volontiers que tout le monde lui ressemble. Pour les uns, c’est un murmure intérieur, vague et confus, parfois une vraie parole nette et bien timbrée, qui accompagne le cours de la pensée ; ces personnes s’entendent penser, elles se représentent les mots sous forme d’images auditives, ce sont des auditifs. M. Egger, qui a écrit un bel ouvrage sur la Parole intérieure, paraît faire partie de cette catégorie, où doivent probablement figurer beaucoup de musiciens. Il en est d’autres, plus rares à la vérité, qui, au lieu d’entendre le mot pensé, le lisent ; chez eux, l’idée ne suggère pas une image verbale, mais une image visuelle. Appelés à faire un cours, ils le prononcent en lisant mentalement leur manuscrit. On les appelle des visuels. Il est à remarquer que, sans doute par un effet de notre éducation, qui nous familiarise avec les mots entendus avant de nous apprendre à lire, la mémoire verbale est plus souvent auditive que visuelle. C’est quand on veut se représenter un objet concret, comme un chien, une fleur, une maison, qu’on fait appel à la vision mentale ; si on pense au mot, on se le représente le plus souvent sous la forme du son. Il y a cependant des exceptions à cette règle ; les recherches toutes récentes de M. Ribot l’ont prouvé ; certaines personnes, priées de penser à un objet matériel et d’indiquer l’image qui s’est formée la première à l’esprit, disent qu’elles ont vu le nom écrit de cet objet ; elles ont eu une image visuelle typographique.