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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/14

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REVUE DES DEUX MONDES.

XX.

Maintenant il y avait table ouverte au Vignal ; des repas de chasseurs alternant avec des dîners de prêtres, sans compter les invitations imprévues faites au dernier moment, à la fortune du pot : Boularel venant apporter des quittances à signer, le docteur Bosredon en tournée, les Brassac ou les Lacousthène en visite, et que l’on retenait de force pour déguster une vieille bouteille ou manger un civet.

Plusieurs fois Thérèse avait essayé à cet égard quelques observations. Elle eût préféré à ce va-et-vient d’hôtellerie l’intimité dans laquelle on s’écoute vivre, les repas paisibles sans apprêts, les soirées somnolées en commun au coin du feu.

Puis, avec ses exigences sentimentales, ses maladroites tendresses de femme initiée tant bien que mal à l’amour, elle trouvait que George n’était pas assez à elle, que tous ces gens l’accaparaient, le lui prenaient chaque jour davantage, les demoiselles Lacousthène surtout, toujours fourrées au Vignal depuis son mariage, et faisant des Irais incroyables pour plaire, comme si elles se fussent posées hardiment en rivales.

Elle en arrivait à regretter la brutalité des premières caresses de l’époux le soir des noces, ce coup de désir qui l’avait meurtrie et que dans son ignorance, dans son trouble, elle avait pris pour de l’amour.

Il avait prononcé ce soir-là des mots qui ne lui étaient jamais plus sortis des lèvres, et elle se les rappelait comme une musique douce, l’excuse touchante de ses emportemens de passion, la compensation faible, mais pourtant suffisante, de tout ce qu’elle avait souffert par lui dans sa dignité de femme et dans sa chair. Mais avec la possession, à la longue, le désir lui-même s’était affaibli, puis éteint ; et Thérèse vainement s’en alarmait, cherchait à reprendre un peu de cet empire qu’elle avait perdu par son inertie de victime obéissante et son inexpérience en l’art d’aimer.

— Ne recevons pas tant de monde, veux-tu ? on n’est plus chez soi, on se prodigue aux étrangers, et lorsqu’on se retrouve le soir, c’est avec la lassitude de la journée écoulée, ou la préoccupation de celle qui va suivre. Ce serait pourtant si bon d’être un peu seuls, de vivre pour soi, non pour les autres !

— Et de filer le parfait amour entre ton père assoupi sur l’Indépendant du Lot, et ta mère ravaudant des piles de linge, n’est-ce pas ? Eh bien ! non, là vrai ! ça ne me dit rien, cette perspective de partie carrée… Avec ça que la vie est déjà si gaie ici : de sempi-