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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/165

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question d’Orient. Quand je suis passé là-bas, la France était représentée par un des hommes les plus aimables, les plus éclairés et les plus fermes que j’aie vus dans les postes consulaires du Levant. Ceux qui ont quelque souci de la dignité extérieure de notre pays doivent souhaiter que nos intérêts soient confiés, partout, à des représentans aussi actifs que M. Carteron : il a quitté Syra pour se conformer aux exigences de sa carrière ; mais il a laissé en Orient des résultats acquis, des souvenirs vivaces, et des amis qui souhaitent son retour.

Le corps consulaire entretient avec les fonctionnaires grecs des relations cordiales, et dont la durée varie d’après les changemens ministériels. Il y a un nomarque[1] tricoupiste et un nomarque delyanniste. Ils alternent à intervalles à peu près égaux. Quand l’un a fini, l’autre prend sa place, amenant avec lui tout son personnel depuis le capitaine du port jusqu’aux derniers scribes du bureau des douanes. Et il en sera ainsi tant que la Grèce jouira des bienfaits du régime constitutionnel. M. le maire, qui s’intitule « démarque d’Hermopolis, » est un peu plus sûr du lendemain ; étant l’élu du suffrage universel, il dure à peu près l’espace d’une législature et règne assez paisiblement sur des armateurs très riches et des bateliers très pauvres. Il n’est pas rare, à Syra, de rencontrer, dans le même café, des millionnaires et des gens qui n’ont pas 10 lepta dans leur poche : les uns comme les autres dînent de quelques olives, d’un morceau de fromage, d’un verre d’eau claire, d’un narghilé et d’un article de journal , et ceux-ci parlent de ceux-là sans envie.

— Il a eu de la chance, me disait Yorghi, décrotteur de son métier, en me montrant, sur la place, un homme important qui passait, coiffé d’un panama, vêtu d’un paletot de coutil et protégé contre le soleil par une ombrelle blanche doublée de vert ; il a vendu beaucoup de choses (πολλὰ πράγματα) en Russie et à Marseille. — Et je voyais dans les yeux malins du rusé compère qu’il se jugeait très capable d’en faire autant et que peut-être il ne désespérait pas de laisser un jour sa boîte, ses brosses et son cirage pour un négoce plus compliqué.

La ville de Syra, vue du large, présente l’aspect de deux grands cônes placés l’un à côté de l’autre et couverts, depuis la base jusqu’au sommet, d’une multitude de maisons blanches, à toits plats. A part les platanes, récemment plantés sur la grande place, je ne crois pas qu’il y ait, dans toute l’étendue de l’île, dix arbres en tout. Dès qu’on quitte les faubourgs, il faut grimper, en plein soleil,

  1. Préfet.