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OÙ elle s’est sentie revivre dans son armée. C’est l’année de Cronstadt et des manœuvres de l’Est !

Que la France, quoique depuis longtemps retirée dans son œuvre réparatrice, comptât encore dans le monde, on aurait pu s’en douter à voir les alliances se former contre elle, contre les retours agressifs dont on lui attribuait la pensée. Elle a laissé cependant tout passer, elle restait dans son recueillement volontaire. Pour la première fois, après vingt ans, elle a fait sa réapparition sur la scène publique par la visite de son escadre à Cronstadt et à Portsmouth, par les nouveaux rapports qu’elle a noués avec la Russie. Cette réapparition, elle l’a faite avec éclat au milieu des ovations et des manifestations qui ont accueilli ses marins, et la réception a été d’autant plus significative que cette fois la cordialité a été sans réserve. On a mis peut-être même une sorte d’affectation à accepter la république avec ses emblèmes, avec son hymne traditionnel mêlé aux hymnes nationaux des autres pays. On s’est plu à honorer la France telle qu’elle est, à fêter sa rentrée dans les conseils de l’Europe. Et à quoi a été dû ce succès ? On n’en peut douter ; si Cronstadt a été possible, si par ce rapprochement de la France et de la Russie l’équilibre a été rétabli en Europe comme on Ta dit, c’est que notre politique extérieure a su rester à travers tout vigilante et mesurée, attendre les circonstances sans se désintéresser de rien et sans rien précipiter, éviter de se compromettre par les propagandes inutiles ou les agitations impatientes et inspirer quelque confiance. Cette « situation nouvelle » dont on a parlé est le prix d’une modération réfléchie et prévoyante qui s’est imposée quelquefois même à des ministres frivoles ou inexpérimentés. On peut dire de même de ces manœuvres militaires de l’Est qui ont coïncidé avec les fêtes de Cronstadt, qui en ont été le sérieux accompagnement ou le complément. Quand on se rappelle le point d’où l’on est parti, où on en était au lendemain d’incomparables désastres, il est certain qu’un singulier et heureux changement s’est accompli. Les manœuvres du dernier automne, qui ont été comme la réapparition rassurante d’une armée nouvelle, représentent assurément un immense travail appliqué à tout, à la réorganisation de nos forces, de nos services, de nos défenses. Et ici encore, on peut l’ajouter, cette reconstitution de notre état militaire comme la reconstitution de notre état diplomatique est le résultat d’une politique persévérante qui a eu pour complices toutes les bonnes volontés, tous les patriotismes, qui n’a été possible que par une sorte d’union nationale. Ainsi reconstituée dans sa force et dans ses alliances, la France, comme l’a dit heureusement un jour M. le président du conseil, ne subit plus la paix, elle la protège, elle reste une des garanties de l’équilibre, de la liberté de l’Europe.

C’est ce qu’on pourrait appeler l’originalité historique de cette