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idées sur les rapports internationaux, sur les conditions du commerce se sont aussi élargies et libéralisées. C’est justement ce dont on ne tient pas compte. Autrefois, M. de Villèle, cet homme d’affaires à l’esprit pratique et fin, disait que la protection était bonne pour aider les industries à atteindre le degré où elles n’avaient plus besoin d’être protégées. Aujourd’hui, ce n’est plus même cela ; la protection est le système souverain et absolu auquel on prétend imprimer le sceau de l’invariabilité. En sorte qu’on va, si on nous passe le mot, au rebours du temps. Au moment où d’autres reviennent aux traités de commerce, on se rejette dans l’exclusion systématique des transactions souvent nécessaires pour sauvegarder un intérêt politique aussi bien qu’un intérêt commercial. Au lieu d’étendre les relations de la France, on les resserre en se hérissant de tarifs. Au lieu de suivre avec mesure le mouvement libéral du siècle, on s’efforce de remonter le courant. Et voilà où nous en sommes en 1891, — dans l’année même où l’on a salué comme un succès la rentrée de la France dans le concert des grandes nations I

Au fond, il n’y a pas à s’y tromper, c’est l’inconséquence qui est partout, qui se manifeste sous plus d’une forme dans notre vie publique. C’est la contradiction trop fréquente entre ce qu’on peut considérer comme un intérêt supérieur, comme une nécessité de prévoyance nationale, et les passions, les préjugés, les intérêts coalisés pour dénaturer ou faire dévier la vraie politique de la France. Certes, s’il y a eu jamais un spectacle frappant, c’est celui qui a été offert pendant le dernier automne, à ce moment où notre escadre fêtée, honorée comme une messagère de la France, allait de Cronstadt à Portsmouth, et où notre armée reparaissait disciplinée, dévouée, image vivante et virile du pays. Tout était à la paix, à la paix intérieure, même à la paix religieuse. Sur le passage de M. le président de la République et des ministres se pressaient les membres du clergé, les chefs de l’église comme de simples prêtres, portant aux représentans du gouvernement, avec une déférence sans embarras, les témoignages d’une adhésion patriotique ; partout éclatait ce sentiment qu’il y, avait pour le pays, pour la république elle-même, une garantie de plus, une force de plus dans ce rapprochement, dans cette union des esprits. On peut dire que c’est là aussi un des événemens de l’année. Qu’est-il arrivé cependant ? Une agitation au moins étrange n’a pas tardé à se produire pour troubler cette paix. Et qu’on ne dise pas que c’est parce que quelques évêques ont repris bientôt l’attitude et le langage d’une irréconciliable hostilité. Il se peut qu’à propos d’un incident malencontreux des évêques aient écrit ou parlé imprudemment ; mais ce n’est là visiblement qu’un prétexte. Les chefs du radicalisme n’avaient attendu ni cet incident, ni ces manifestations pour