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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/252

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donne trop souvent le spectacle, d’Argenson se fût servi d’une expression équivalente, — celle de piraterie par exemple, — il n’aurait pas dépassé la mesure de ce que Maurice non-seulement consentait, mais désirait qu’on dît de lui-même ; car il reprenait cette année encore le plan dont les bons conseils de Noailles l’avaient détourné. Il demandait qu’on lui permît d’exercer à son profit les droits de la course maritime, sur les côtes et dans les îles de Zélande, au moyen d’une escadre de felouques qu’il proposait d’équiper à ses frais et de faire monter par ses soldats. — « Laissez-moi, disait-il en propres termes, faire ma piraterie, je ne vous demande pas d’argent pour cela : il m’en faudrait trop, mais seulement que vos intendans ne s’en mêlent pas. » — Puisieulx fut obligé de le rappeler aux convenances. — « Votre plan, lui écrivait-il, serait susceptible d’une foule d’inconvéniens, parmi lesquels la dignité royale qui en serait blessée ne serait pas le moins essentiel. Je vous demande, en effet, s’il conviendrait au roi d’exercer une sorte de piraterie que Sa Majesté, ayant honte d’avouer, ferait exercer par son général avec ses troupes… Ne prenez pas ceci pour un conseil, je n’ai point à en donner à un homme tel que vous, mais je dois à l’amitié dont vous m’honorez de vous dire ce que je pense. »

Ce n’était donc pas seulement pour s’illustrer, mais aussi pour jouir et s’enrichir que Maurice était soupçonné de prolonger, au prix du sang de ses nouveaux et de ses anciens compatriotes, les maux d’une guerre interminable, et l’accusation était si publique, que des amis, avec un zèle plus empressé qu’adroit, ne craignaient pas de mettre la même publicité dans la réponse. Ainsi on fit jouer à Paris une pièce assez médiocre intitulée Coriolan, où le Romain, devenu chef des Volsques, ressemblait assez à l’Allemand devenu Français, et un acteur, dans une tirade à effet, appuya avec affectation sur des vers comme ceux-ci :

En vain vous prétendez, condamnant sa conduite,
Que sous un autre chef Rome eût été détruite.
Ne valait-il pas mieux, sans rien mettre au hasard.
Assurer sa victoire et vaincre un peu plus tard ?

L’allusion était transparente et fut reçue avec un tel mélange d’applaudissemens et de protestations qu’il fallut, pour faire finir le tapage, interdire la représentation[1].

Maurice lui-même, averti de ces propos, se défendait très mollement

  1. Journal de d’Argenson, t. V, p. 160-206. — Saint-René Taillandier, Maurice de Saxe, p. 336-339. — Maurice à Puisieulx. — Puisieulx à Maurice, 2 et 7 novembre 1747. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)