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toujours pressé de se mettre en scène, avait accepté le commandement de Gênes, vacant par la mort du duc de Boufflers. « Je pars, avait-il écrit, en faisant sonner très haut son dévoûment, mais je dois auparavant régler avec mes créanciers qui sont convaincus que je ne puis me dispenser de faire comme M. de Boufflers et qu’ils ne me verront plus. »

Arrivé à son poste après avoir traversé, non sans peine, les croisières anglaises, il prit tout de suite une attitude de nature à faire comprendre qu’il entendait faire de Gênes le centre stratégique de la campagne qui allait s’ouvrir. Par une sortie heureuse, il réussit à élargir le cercle dans lequel la ville était resserrée, en forçant les Autrichiens d’abandonner les postes de Vareggio et de Voltri. Il méditait une attaque pareille sur Savone et sur Final, dont il espérait offrir la prise en hommage au congrès le jour de sa réunion. — « C’est par l’Italie principalement, écrivit-il à Puisieulx, que vous ferez la paix, et l’intérêt que je puis y avoir personnellement n’est pas, je vous assure, ce qui me détermine à penser comme cela, mais bien l’expérience que j’ai depuis trente-cinq ans de tout ce qui se passe en Europe qui me le persuade[1]. »

Menacée ainsi, plus que jamais, sur les deux terrains que ses armées avaient à disputer, Marie-Thérèse, de son côté, ne pouvait manquer de redoubler de précautions pour se mettre en garde, et son unique préoccupation paraissait être d’éviter, par une combinaison de forces nouvelles, la répétition stérile des luttes laissées sans résultat par la campagne précédente. Peu confiante désormais dans le mérite des généraux dont elle avait éprouvé la médiocrité et dans le concours d’alliés dont la fidélité lui semblait toujours douteuse, elle n’attendait plus que de l’intervention des troupes russes l’élément nouveau et inconnu dont pouvait se dégager la solution du problème laissé en suspens depuis tant d’années. Hâter le départ de ces auxiliaires, tracer leur itinéraire, assurer le paiement de leurs frais de route, écarter les obstacles de leur chemin, afin d’être sûr de leur apparition au jour donné, on ne songeait plus à Vienne à autre chose. Dès le commencement de janvier, des réquisitions furent adressées à tous les souverains dont les soldats de la tsarine devaient parcourir les états, en réclamant d’eux le libre parcours, ou ce qu’on appelait le transitus innoxius. La sommation ne fut pas faite au nom de l’impératrice elle-même ; elle aurait craint, sans doute, de prendre trop ouvertement la responsabilité d’une telle démarche et d’en attacher

  1. Richelieu à Puisieulx, 24 octobre 1747. (Correspondance de Gênes. — Ministère des affaires étrangères.)