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ne restera à l’impératrice-reine que de mettre la nappe en Bohême pour les y refaire et rafraîchir pendant quelques semaines. Ce sont les avis qui me sont parvenus que l’Angleterre est intentionnée d’assembler aux Pays-Bas tout ce qu’elle a de troupes pour être prête à tout événement, et je n’ai aucun sujet d’être embarrassé de la Russie, mais je puis regarder tout ce qu’elle fait dans les conjonctures présentes avec beaucoup d’indifférence[1]. »

A ceux qui parlaient des dangers que courait l’empire en laissant ainsi violer la neutralité convenue : — « Les Russes, disait-il, ne passeront que rapidement sur les terres de l’empire ; il faut se rapporter, sur ce point, à la parole de l’empereur lui-même, je ne puis concevoir qu’un prince, chef de l’empire, plein de candeur et de sentimens patriotiques, soit capable de prendre d’autre parti que ceux qui conviennent à la tranquillité de l’Allemagne : on peut se fier à cet égard à la pureté de ses intentions. » — « Cet éloge inattendu de l’époux de Marie-Thérèse me fit ouvrir les yeux, dit Valori, et j’en marquai ma surprise[2]. »

C’est tout au plus si l’occupation que cette expédition lointaine va donner à la Russie ne paraît pas de nature à rassurer contre les desseins que cette puissance aurait pu, en d’autres circonstances, méditer au préjudice de ses voisins. — « Je ne saurais m’imaginer, écrit-il encore, qu’après que les trente mille Russes se seront mis en marche pour se rendre aux ordres des puissances maritimes, le chancelier (Bestouchef) ne voudra rien rabattre de ses hauteurs et de ses emportemens envers les voisins de la Russie : je me persuade plutôt qu’il ne se trouvera plus à même de soutenir ses procédés irréguliers par la crainte qu’il aura d’attirer par là des affaires à la Russie par quelque rupture réelle. Il est donc raisonnablement à croire que Bestouchef, après le départ des trente mille hommes en question, voudra se conduire plus sagement qu’il n’a fait jusqu’ici et mettre de l’eau dans son vin. » — « Je crois en vérité, disait Valori, témoin de cet état d’esprit, qu’il aime mieux voir les Russes sur la Moselle qu’en Moravie[3]. »

Ce qui ne l’empêchait pas, cependant, de faire savoir tout bas à la France qu’à sa connaissance, derrière la convention assurant à l’Angleterre et à la Hollande la venue des secours annoncés, s’en cachait une autre plus secrète, et en vertu de laquelle une seconde armée russe serait mise sur pied, toute prête à tomber sur lui,

  1. Frédéric à Podewils, 12 janvier 1748. — Pol. Corr., t. VI, p. 5.
  2. Valori à Puisieulx, 20 février 1748. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  3. Frédéric à Frankenstein, ministre à Saint-Pétersbourg, 19 janvier 1748. — Pol. Corr. t. II, p. 9. — Valori à Puisieulx, 6 avril 1748. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)