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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/265

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qu’arriva la nouvelle imprévue qui changea du soir au lendemain dans l’intérieur du ministère britannique l’attitude respective des deux partis. On peut se rappeler que, l’automne précédent, une proposition de paix avait été transmise par Maurice de Saxe à Cumberland, et que le roi George, flatté de l’intermédiaire que Louis XV s’était choisi, semblait disposé à y prêter l’oreille ; ce fut un ami du stathouder, lord Bentink, envoyé en mission spéciale, qui fit échouer dans son germe la négociation à peine entamée. L’argument principal dont il s’était servi pour en écarter la pensée, c’était l’annonce du corps d’armée russe dont la présence sur le champ de bataille devait changer, disait-il, entre les combattans tout l’équilibre des forces. Puis, comme on persistait à douter de ce concours si souvent attendu en vain, Bentink n’avait pas craint de s’engager à en répondre au nom de son maître, pourvu que les deux puissances maritimes consentissent à se charger, à frais communs, des dépenses du transport. Il avait même indiqué de quelles sommes la Hollande pourrait disposer pour sa part contributive. Tout ce que Bentink avait promis semblait donc prêt à se réaliser. Moyennant un traité de subsides dont les clauses étaient agréées, aussi bien par le parlement britannique que par les états-généraux de Hollande, les Russes, comme on vient de le voir, se mettaient en mouvement à l’heure dite, et il n’y avait plus, semblait-il, qu’à les attendre et à les payer.

Mais ce fut justement le paiement qui, au moment où il fallait le réaliser, vint à manquer à la dernière heure. Quelle ne fut pas la surprise du nouveau secrétaire d’État, le duc de Bedford, quand il vit arriver un nouveau messager qui n’était autre que le frère du premier, Charles Bentink, porteur cette fois d’une seconde lettre du prince d’Orange à son beau-père, conçue sur un ton très différent. — « La république, y était-il dit, épuisée par une longue guerre, et devant penser avant tout à son salut, avait à peine de quoi pourvoir sur ses propres ressources au paiement de ses propres troupes ; bien moins encore pouvait-elle se charger de fournir à des subventions extraordinaires pour l’entretien des auxiliaires étrangers : elle se reconnaissait donc impuissante à faire face à ses engagemens si l’Angleterre ne lui venait en aide par un prêt montant au chiffre, considérable pour le temps, d’un million de livres sterling. Ce fut une consternation générale. Pas le moindre soupçon de ce nouveau sacrifice à faire n’avait été donné au parlement dans le discours royal d’ouverture, et Pelham, dont l’office était de diriger le parti ministériel à la chambre basse, déclara qu’il lui était impossible de s’y représenter avec une nouvelle carte à payer. Son frère, Newcastle, le premier ministre, essaya vainement de l’y décider, et le roi lui-même courba la tête en disant :