Car, une chose était certaine, elle le savait, c’est que, soit de la France, soit de l’Espagne, la paix ne pouvait être obtenue qu’au prix d’un établissement sérieux assuré en Italie au frère de Ferdinand VI, au gendre de Louis XV. A cet égard les deux cours de la maison de Bourbon étaient intraitables. C’était le nœud de toutes les négociations engagées et qu’aucune n’avait réussi jusque-là à résoudre : c’était la condition sine qua non de tout espoir de conciliation. Dès lors, dès qu’on prononçait le mot de paix, toute la question était de savoir aux dépens de qui serait accordée cette concession indispensable ? Qui, de l’Autriche ou du Piémont, en ferait les frais ? Le nouvel apanage créé pour un infant ou un Bourbon serait-il détaché des possessions soit anciennes, soit récemment acquises de la maison de Savoie, ou des domaines que la fille de Charles VI gardait encore au-delà des Alpes ? Or, si l’Angleterre traitait seule et en secret, Marie-Thérèse savait d’avance par plus d’une épreuve déjà subie à qui seraient demandés les sacrifices. La faiblesse connue de l’Angleterre pour le roi de Sardaigne, l’intimité constante des deux cabinets de Londres et de Turin, et les procédés déjà employés plus d’une fois envers elle ne lui laissaient d’avance aucun doute. Deux fois déjà n’avait-elle pas vu l’envoyé anglais lui mettre le couteau sur la gorge, tantôt pour arracher sa signature au traité qui cédait la Silésie à la Prusse, tantôt pour lui faire acheter, au prix de lambeaux détachés du Milanais, le concours si peu solide de Charles-Emmanuel ? Elle voyait donc se préparer encore cette fois une troisième répétition de la même scène. On lui apporterait encore un traité tout fait, tout signé, où on aurait stipulé d’avance et en son nom des cessions auxquelles, ne pouvant résister à elle seule, bon gré, mal gré, elle devrait consentir. Ce serait alors une véritable duperie aussi ridicule que douloureuse : tout le monde, sauf elle, aurait gagné à la guerre, et ceux qui en auraient tiré le meilleur lot, ce seraient le perfide Frédéric, qui ferait consacrer par l’assentiment de l’Europe entière le fruit de ses attentats, et le volage Emmanuel, qui garderait, en abandonnant la lutte, le prix dont on l’avait payé pour la soutenir[1].
- ↑ Voici comment un excellent observateur, l’ambassadeur de Venise à Vienne, rend compte, dès le 1er janvier de cette année, de la crainte que l’impératrice ne cessait de concevoir au sujet d’une entente secrète de l’Angleterre, soit avec la France, soit avec l’Espagne. Après avoir mentionné la présence à Madrid de l’agent secret Wall dont je viens de parler : « A quel point, ajoute l’ambassadeur, la suite de cette affaire a troublé l’esprit de l’impératrice, il serait difficile de le dire ; avec quelque apparence de sincérité que la cour de Londres ait rendu compte des communications qu’elle avait reçues, elle n’en a pas moins immédiatement cru que la grande œuvre de la paix se fera à Londres, que cette cour conviendra des conditions principales avec la France et l’Espagne et qu’elle n’aura qu’à les ratifier au congrès. »