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regagner ce qu’elle s’est laissé arracher en Allemagne, et pour atteindre à ce double but, elle veut acheter de la France, par la paix qu’elle présente à sa signature, sinon son concours matériel, au moins son assentiment facile et la promesse de la laisser faire. Elle veut surtout l’empêcher d’entrer dans aucun engagement qui la contrarie ! Inoffensive en apparence, cette prétention est pourtant plus considérable, et si la France y consent, pourra la mener plus loin qu’elle n’a l’air, car c’est un premier pas dans une voie nouvelle ; c’est l’abandon de toute la politique traditionnelle qui a toujours tendu à l’abaissement de l’Autriche sur tous les théâtres. Si ce n’est pas encore la rupture avec Frédéric, c’est du moins une complète séparation d’intérêts, c’est le démenti donné à la maxime favorite de d’Argenson qui proclamait que, la conquête de la Silésie fût-elle le seul résultat de la guerre, c’était pour la France un avantage personnel qu’elle n’aurait pas encore payé trop cher.

Quelque grands que fussent les sacrifices que Marie-Thérèse croyait s’imposer à elle-même par ses avances, elle ne pouvait assurément s’attendre à ce que tout fût agréé du premier coup, ce qui eût été, je crois, sans exemple en diplomatie ! Mais le ministre français, de son côté, quand le projet lui fut communiqué, avait, pour demander le temps de la réflexion, deux motifs dont l’un au moins pouvait être très franchement exprimé. N’était-il pas nécessaire de faire connaître, sinon les termes, au moins le fond de l’arrangement offert à l’Espagne, qui ne pouvait manquer de trouver un peu mince le lot attribué au frère de son roi, et qu’on aurait quelque peine à y ramener à une condition si modeste ? Il ne fallait pas s’exposer de la part de cette cour fantasque et capricieuse à quelque éclat d’irritation et d’amour-propre qui, cette fois encore, comme dans plus d’une occasion précédente, aurait à la fois tout révélé et tout compromis ! Une autre raison plus grave qu’on ne pouvait pas dire tout haut, mais à laquelle on eût été inexcusable de ne pas penser, commandait à Puisieulx de faire attendre sa réponse avant de s’engager par un assentiment précipité. C’était bien de connaître et de tenir en quelque sorte par écrit le fond du cœur du cabinet autrichien ; mais le cabinet anglais avait fait savoir que lui aussi était animé d’intentions pacifiques. A la vérité, il parlait d’une façon plus vague, mais son ambassadeur arrivait chargé d’instructions confidentielles qui y donneraient plus de précision. C’eût été une souveraine imprudence de se prononcer avant de connaître et de pouvoir mettre en balance les termes offerts de part et d’autre. Puisieulx, sagement conseillé par son premier commis, l’abbé de La Ville, prit le parti très sensé de remettre lui-même, pour expédier à Vienne, un