joua d’autant mieux son rôle qu’il était sincère et qu’il eût été heureux d’exécuter ses promesses. Les dispositions de lord Salisbury étaient toutes différentes, et les tories n’eurent même pas la patience, ou la pudeur, d’attendre la fin de la période électorale pour jeter le masque et combattre leurs alliés de la veille. Cependant la coalition n’était pas complètement rompue, et plus d’un candidat conservateur, en Angleterre, escamota les votes des électeurs irlandais. Si lord Salisbury était rentré au pouvoir avec une faible majorité, peut-être se serait-il souvenu des engagemens de lord Carnarvon. Mais la fortune du scrutin en décida autrement. M. Parnell rentrait au parlement à la tête d’un parti compact de 86 députés, ce qui le rendait maître de déplacer 172 voix dans un vote important. Les libéraux perdaient 18 voix ; les conservateurs en gagnaient 13. Les uns n’étaient plus assez forts pour gouverner avec Parnell pour ennemi ; les autres étaient trop faibles encore pour gouverner avec Parnell pour allié. Ce double fait suffirait pour expliquer le changement de front auquel nous avons assisté dans l’hiver de 1886. Mais, si l’on veut être juste envers M. Gladstone, il faut se rappeler tout le bien qu’il avait déjà fait ou essayé de faire à l’Irlande. Il n’y a point ici de « chemin de Damas, » et la conversion du grand leader libéral avait été annoncée, préparée par des symptômes significatifs. Le 7 octobre 1881, M. Gladstone avait déclaré que Parnell ne représentait qu’une minorité. Il ne pouvait répéter cette phrase-là après les élections de 1885. Chef du pouvoir dans un pays où l’opinion gouverne, ne devait-il pas lui obéir lorsqu’elle se manifestait d’une façon si éclatante ?
Parmi les graves enfantillages de la vie, on trouve des jeux pour tous les âges, pour tous les caractères et toutes les sortes d’esprit, Il n’en est pas de plus attachant pour les vétérans de la politique que d’élaborer une constitution. Ils savent aussi bien et mieux que nous que les constitutions ne s’improvisent pas. Une constitution doit être une constatation. Elle légalise l’action du temps, précise scientifiquement le mode de croissance d’un organisme social. Quand on l’écrit, souvent elle a fait son œuvre et usé sa vertu : d’un être vivant elle devient une chose morte, un document historique. M. Gladstone n’ignorait rien de tout cela, mais il n’y a pas d’exemple qu’un homme d’État ait eu l’occasion de composer une constitution et ne s’en soit point passé l’envie.
On a admiré, dans son ingéniosité et sa hardiesse, la combinaison financière par laquelle M. Gladstone proposait de mettre hors de l’Irlande les propriétaires du sol, dépouillés et contens. Le grand manieur de chiffres s’était donné la peine de préparer aux Irlandais un petit budget modèle dont les charges et les dépenses