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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/314

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que s’engagèrent entre eux, dans la quinzième salle de commission, ces longues et orageuses discussions qui nous ont donné l’image du futur parlement irlandais. Le spectacle était unique : un président qui est en même temps un accusé, qui dirige les débats dans sa propre cause, plaide, gourmande, réfute, insulte, tour à tour tremblant d’émotion, pâle de rage, puis gouailleur, indifférent, échangeant une farce avec son voisin dont on veut faire son successeur. Là, on se soulagea le cœur et on vida, par surcroît, la poche au fiel ; là on se dit des choses inoubliables ; là un gouffre se creusa entre des hommes qui, la veille, marchaient la main dans la main et se seraient fait tuer les uns pour les autres. Finalement, le roi de l’Irlande, qui refusait d’abdiquer, fut déposé par les deux tiers des suffrages, et Justin Mac-Carthy, l’honnête et paisible Mac-Carthy, fut élu en sa place, quoique manquant de la volonté nécessaire pour se faire obéir, peut-être à cause de cet heureux défaut. Les hommes qui ont été trop gouvernés ont de ces calculs et de ces prévoyances.

Restait à savoir ce que dirait l’Amérique qui tient les cordons de la bourse, ce que penserait l’Irlande, juge suprême des querelles de ses représentans. Parnell tenta une sorte d’appel au peuple, chercha son salut dans ce rôle de tribun, pour lequel, je l’ai dit, il n’était point fait. Cependant tout parut marcher à souhait. Jamais Parnell n’avait semblé plus énergique, plus hardi. Dès le premier jour de son arrivée, il prenait d’assaut l’imprimerie de l’United Ireland qui, par une ironie de la destinée, faillit servir de théâtre à une rixe sanglante entre Irlandais. A Cork comme à Dublin, les foules acclamaient l’ancien leader, qui répétait partout ses accusations contre le chef du libéralisme anglais. A l’en croire, M. Gladstone éludait ses promesses, violait les termes du pacte primitif. Voilà ce qui se cachait derrière ses pudeurs hypocrites. C’était l’Irlande qu’on trahissait en Parnell, et c’était aussi l’Irlande qu’il défendait en sa personne. Que les libéraux fissent leur devoir, tinssent leurs engagemens : aussitôt il s’effacerait et abandonnerait sans regret un rôle où il n’avait trouvé qu’amertume, souffrance et ruine.

Un siège de député était vacant à Kilkenny. Les deux partis voulurent voir dans cette élection le verdict même du pays. Les chefs accoururent à ce tournoi plébiscitaire ; toute l’Irlande semblait dans Kilkenny. De son côté, l’Angleterre voulait savoir, heure par heure, ce qui se disait, ce qui se passait dans ce coin perdu de l’Europe. Presque chaque jour on se battait à Kilkenny et dans les bourgades voisines. Davitt fut menacé, frappé. Parnell reçut dans les yeux une poignée de plâtre qui lui causa de vives souffrances