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— Eh bien, la Francine, à quand la noce ?

— Quand le bon Dieu t’éteindra la vue, et que le diable aura ton âme.

Il secouait la tête, riant toujours :

— Que tu le veuilles ou non, faudra que tu y viennes, la fille. Tous ceux qui t’approcheront, je leur arracherai l’éperon et la crête, et à moins que tu n’aies l’intention de coiffer sainte Catherine...

Le fait est que, quand il en a eu estropié une demi-douzaine des plus beaux, des plus forts, elle est allée à lui, domptée, soumise comme les couchans qu’on dresse au collier de force, et amoureuse, dit-on, comme une chatte au printemps.

George, qui fouaillait distraitement ses chevaux, s’écria :

— Eh ! mais, ce n’est pas tout le monde, ce sauvage-là ! et avec ça, d’une jalousie féroce, je suppose ?..

— Ah ! tant qu’à ça, on n’en sait rien, répliqua Gustou devenu grave, les amoureux se sont tenus pour suffisamment avertis, voyez-vous ; personne ne rôde plus maintenant autour de la Francine.


XXXIX.

Il faisait presque nuit à présent. Des brouillards s’abattaient, noyaient la cime des collines, puis se traînaient sur leurs flancs, passaient comme une fumée blanche, diaphane, au travers des. arbres. Et, en même temps que les brumes tombaient, il s’en élevait d’autres dans les gorges, qui semblaient sortir de terre, s’exhaler comme un souffle chaud des prairies marécageuses de la Thèse.

Lorsque George et Gustou arrivèrent à la masure de Bertal, celui-ci, assis sur le pas de sa porte, fabriquait avec du fil de laiton des lacets pour les lièvres. Il ne se leva pas, les toisa rapidement d’un œil soupçonneux et mauvais de bête surprise.

— Salut, la Mort ! je t’emmène là M. George d’Escoublac, du château du Vignal, qui vient s’installer quelques jours chez toi pour traquer les loups et tirer des bécasses.

Le braconnier les dévisagea en face cette fois, et longuement, George surtout, depuis la semelle de ses bottes jusqu’à la fourrure de loutre de sa casquette. Puis, avec méthode, sans se presser, il rangea ses lacets, et s’effaçant pour laisser passer ses hôtes :

— Entrez, dit-il simplement.

Ainsi que l’avait dépeint Gustou, c’était un homme petit, très maigre, avec un profil aigu d’oiseau et les joues creuses, mais d’une large carrure, les épaules hautes, les bras forts, aux biceps rebondis sous le tricot de laine ; et le contraste saisissait, de cette