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d’étoile; des hanches à peine saillantes qui l’amincissaient encore la faisaient paraître plus grande qu’elle n’était en réalité, lui donnaient une démarche souple, une grâce alerte de très jeune fille. Et sur cet ensemble harmonieux, une tête petite, au lumineux profil de médaille antique, gardant dans l’expression sa distinction pure de chef-d’œuvre.

Les trois hommes mangèrent de grand appétit, tout en continuant à parler chasse, et la Mort semblait s’humaniser, se livrer davantage, révélait à George ses ruses de braconnier, les secrets de la tendue , les précautions de l’espère, sa façon impeccable de diriger son tir en n’importe quelles circonstances.

Mais tout cela, il le débitait avec son impassibilité hautaine, sans une intonation prévenante, sans une formule de politesse, comme il se fût adressé à un misérable de son espèce. Et George l’écoutait à peine du reste, l’approuvait seulement de temps à autre d’interjections banales, son regard invinciblement attiré vers la Francine, qui les servait, allait et venait sans bruit autour d’eux, de son pas léger et gracieux de jeune déesse.

Puis, quand il n’y eut plus rien sur la table, on se cantonna autour du feu, et Gustou racontait maintenant les bons tours joués aux gendarmes, du temps qu’il chassait sans permis.

Après sa première pipe, il se leva, alla porter la pâtée aux chiens qui hurlaient dans l’étable; et la conversation devint alors languissante, comme engourdie.

Assise en un coin de la salle, sur son fagot de bois mort, la Francine mangeait les restes du dîner, mordant à pleines dents éblouissantes dans son pain bis. Elle ne baissait pas les yeux devant le regard tenace de George, l’examinait au contraire à loisir de son côté, semblait s’intéresser surtout aux détails soignés de son costume, considérer avec une curiosité envieuse de sauvagesse les boutons de métal, à têtes de sangliers, qui étoilaient de blanc le velours à côtes de sa blouse, et le cuir fauve de ses bottes élégantes et fortes qui moulaient la jambe.

A force de se regarder ainsi, ils échangèrent un sourire.

Bertal, penché vers les tisons gantés de cendres, les coudes sur ses genoux, la tête dans ses mains, semblait, dormir.


XL.

Ils se mettaient en chasse avant le jour, Gustou portant dans son carnier les vivres qu’ils dévoraient en une hâte de quelques instans, à midi; et ne rentraient qu’à la nuit close, harassés, fourbus, mais chacun ayant sa bonne charge de victimes : lièvres, perdreaux, bécasses, dont ils faisaient fête tous les soirs,