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LES DUPOURQUET.


donne avec autant d’insouciance et de parfait mépris que l’on t’a prise ; de là tes malaises, ton affaissement, tes vapeurs. Aujourd’hui tu es venue avec le secret espoir de rattraper un peu du terrain perdu, d’entamer un nouveau roman ; eh bien, j’ai à te dire que tu perds ton temps et tes peines ; tu peux rentrer ta robe de foulard crème, dépouiller ton personnage de coquette qui joue à l’oubli ; plus rien à faire ici, je te chasse ! oh ! pas ouvertement, j’ai horreur du scandale, je t’invite seulement à trouver des motifs suffisans pour ne jamais revenir au Vignal, on ne m’a pas habituée à fréquenter des filles !

Thérèse aurait pu continuer longtemps de la sorte ; Alice ne l’entendait plus, tombée dans un évanouissement profond.

Elle la regarda ainsi quelques instans, satisfaite, vengée ; puis, avec de grands éclats de voix, une sollicitude affolée, elle se précipita vers la porte, appela au secours d’une telle force que d’un champ voisin où ils collationnaient, les domestiques accoururent, et tandis que l’on s’empressait autour d’Alice, elle racontait avec une stupéfaction chagrine comment la chose était arrivée :

— Nous causions là, bien tranquillement ; elle me parlait de cette couverture au crochet qu’elle fait pour l’abbé Roussillhes ; tout à coup elle change de couleur, fait un soupir et la voilà qui tombe !..

Lacousthène et Dupourquet rentraient au même instant, intrigués, très émus de ces cris, de ce remue-ménage perçus de loin au cours de leur promenade.

Le père considéra longuement sa fille, que l’on essayait en vain de ranimer. Son visage s’estompait, s’engrisaillait de tristesse, ses sourcils s’amoncelaient en nuages noirs sur ses yeux, et d’une voix dolente il balbutia :

— Pauvre enfant, elle a beau dire, ça lui fera tout de même bien du tort !..

XXIX.

La grossesse de Thérèse amena au Vignal une détente ; par un accord tacite, devant cet événement heureux, chacun désarmait. Les Dupourquet reprirent courage ; il leur semblait que la venue de cet enfant allait aplanir bien des choses. Ils se disaient que la paternité change un homme, que George devant ces responsabilités, ces obligations nouvelles qui lui incombaient, s’amenderait sans doute, songerait moins à ses plaisirs et restreindrait ses dépenses.

Quant à Thérèse, elle faisait plus que de désirer, que d’espérer une conversion quelconque chez son mari ; elle était heureuse plei-