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Le valeureux transfuge se préparait, avec trois autres commandans, à exécuter contre Boshuizen une attaque en règle.

Le 7 juillet 1568, les gueux de mer se portèrent à toutes voiles vers la flotte ennemie. Boshuizen fit un instant mine de vouloir soutenir le choc sans broncher. A l’approche des gueux cependant, on le vit lever l’ancre et battre en retraite. Boshuizen connaissait l’impétuosité de ses adversaires, leur habitude d’engager le combat corps à corps ; il se souciait peu de se laisser aborder, et prit chasse dans le dessein d’attirer en pleine mer ces chétifs navires, d’un tonnage bien inférieur à celui de ses vaisseaux. Malheureusement pour lui, le vent tomba et les vaisseaux commencèrent à dériver au gré de la marée. Il fallut de nouveau jeter l’ancre. Sonoy et Gérard Sébastien profitèrent de la dispersion des vaisseaux de Boshuizen pour en capturer quatre. Ils capturèrent également deux hourques marchandes.

Satisfait de cet avantage, Sonoy, qui exerçait le commandement en chef, se hâta de revenir devant Delfzijl. Il apportait la nouvelle d’une victoire : il trouvait à Delfzijl les symptômes avant-coureurs d’un prochain désastre. Albe approchait rapidement ; Louis de Nassau venait de lever le siège de Groningue et se tenait sur la défensive, déjà retranché à Jemmingen[1]. Les vaisseaux des gueux, si faible que fût leur tirant d’eau, ne pouvaient suivre l’armée du comte jusque-là. Sonoy dut se borner à expédier au comte quelques provisions dans les scutes[2] et dans les bateaux ramassés à Delfzijl. Jan Broeck, — ce Jan Broeck destiné à un sort si funeste, — Et Ellert Hop, se chargèrent de la mission. Ce furent eux qui sauvèrent, comme nous l’avons raconté dans la première partie de ce travail, les débris de l’armée du comte Louis et le comte lui-même.

Après le triomphe si éclatant et si complet du duc d’Albe, qu’allaient devenir les vaisseaux de Sonoy ? Le bailli d’Emden, Unico Manninga, offrait de les recevoir dans le port qui tant de fois les avait abrités ; il promettait même à Sonoy une énergique protection. Les menaces d’Albe transformèrent brusquement ces dispositions bienveillantes. Les vaisseaux capturés furent placés sous séquestre, et les fonds provenant des navires de commerce mis à rançon par les gueux furent confisqués, « en dédommagement, » prétendit le bailli d’Emden, « du préjudice causé par les équipages rebelles au gardien des balises de l’embouchure de l’Ems. »

L’adversité ne rencontre pas d’amis, et ce n’est pas seulement

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1891.
  2. Scute, en hollandais schuit, bateau à fond plat.