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rougissait de ses protégés : « Si les gueux ne changent pas de conduite, s’empressa-t-il d’écrire à Orange, ils finiront par compromettre la cause qu’ils prétendent servir. Toute liberté leur était autrefois donnée de se ravitailler et d’espalmer leurs vaisseaux dans les ports de France : ils se sont si mal comportés que le 23 avril ordre a été expédié de la part du roi de les mettre sous séquestre. N’ont-ils pas eu l’audace de poursuivre des vaisseaux jusque dans les ports et franchises de France ! Pour les éloigner, il a fallu tirer sur eux. Le roi s’est montré très offensé de ces insolences... Il est temps que le prince avise et porte enfin remède à un état de choses qui ne pourrait se prolonger sans les plus graves inconvéniens. »

Charles IX, on le sait, avant de jeter le masque, ne négligeait rien pour rassurer les huguenots ; il leur laissait même entrevoir, comme un terrain sur lequel tous les partis en France se mettraient aisément d’accord, une guerre prochaine avec l’Espagne. Elisabeth, de son côté, ne pouvait se défendre d’un sentiment commun avec les Pays-Bas : elle haïssait le pape et elle surveillait les papistes. Ni Charles IX, ni Elisabeth cependant ne se résolvaient à prendre franchement leur parti de venir en aide « à des serviteurs soulevés contre leur maître. » Une pareille alliance froissait toutes les idées de l’époque ; la majesté des rois en semblait atteinte. L’exemple des Néerlandais n’était-il pas de ceux qui deviennent avec une rapidité foudroyante contagieux ? Orange avait donc un immense intérêt à ne fournir aucun prétexte au désaveu que Philippe II et le duc d’Albe demandaient avec une vivacité presque menaçante aux deux souverains de France et d’Angleterre.

La révocation de Dolhain était un premier pas vers la constitution d’une flotte mieux disciplinée. A la place de Dolhain, Orange nomma pour commander ses forces navales Guislain de Fiennes, seigneur de Lumbres. Les grands seigneurs ne lui manquaient pas : la noblesse, on s’en souviendra, donnait en 1567 le signal de l’insurrection ; elle ne pouvait conserver l’espoir de rentrer en possession de ses biens confisqués que par le triomphe du prince d’Orange. Guislain appartenait à une illustre maison originaire de l’Artois. Homme de conseil et homme d’action, il offrait à Orange toutes les garanties désirables. On le savait, d’ailleurs, un des plus fidèles et des plus actifs amis de Louis de Nassau. Sa nomination porte la date du 10 août 1570. Non moins que le jour où furent distribuées les premières lettres de marque, cette date est mémorable. Le 1er juillet 1568 était venu donner une existence légale aux armemens des gueux de mer : il avait, en quelque sorte, ouvert les annales de la marine indépendante des Pays-Bas ; le 10 août 1570 tendait à séparer de plus en plus la course autorisée de la piraterie. La guerre d’émancipation,