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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/464

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comme lui. Il le pouvait ; son ambition fut trop pure, elle rêvait obstinément le rôle légal d’un Washington ; plutôt que d’en sortir, il abdiqua volontairement devant la coalition d’intérêts, de rancunes et d’épouvantes, reformée contre lui dans l’assemblée par les vaincus de février.

Si l’on prenait la peine de relire ses écrits politiques, ses manifestes et ses discours, on serait stupéfait d’y retrouver tout l’esprit du temps présent, avec plus de largeur, avec un appui plus solide sur l’idée de Dieu comme fondement de toute justice. Il faut pourtant citer une de ces pages : je prends au hasard, parmi les plus anciennes, dans une préface de 1834 sur les Destinées de la poésie : « Ma conviction est que nous sommes à une de ces grandes époques de reconstruction, de rénovation sociale : il ne s’agit pas seulement de savoir si le pouvoir passera de telles mains royales dans telles mains populaires ; si ce sera la noblesse, le sacerdoce ou la bourgeoisie qui prendra les rênes des gouvernemens nouveaux, si nous nous appellerons empire ou république ; il s’agit de plus ; il s’agit de décider si l’idée de morale, de religion, de charité évangélique, sera substituée à l’idée d’égoïsme dans la politique ; si Dieu, dans son acception la plus pratique, descendra enfin dans nos lois ; si tous les hommes consentiront enfin à voir dans tous les autres hommes des frères ou continueront à y voir des ennemis ou des esclaves. L’idée est mûre, les temps sont décisifs, un petit nombre d’intelligences, appartenant au hasard à toutes les diverses dénominations d’opinions politiques, portent l’idée féconde dans leurs têtes et dans leurs cœurs ; je suis du nombre de ceux qui veulent sans violence, mais avec hardiesse et avec foi, tenter enfin de réaliser cet idéal qui n’a pas en vain travaillé toutes les têtes au-dessus du niveau de l’humanité, depuis la tête incommensurable du Christ jusqu’à celle de Fénelon. Les ignorances, les timidités des gouvernemens nous servent et nous font place ; elles dégoûtent successivement, dans tous les partis, les hommes qui ont de la portée dans le regard et de la générosité dans le cœur ; ces hommes, désenchantés tour à tour de ces symboles menteurs qui ne les représentent plus, vont se grouper autour de l’idée seule ; et la force des hommes viendra à eux s’ils comprennent la force de Dieu et s’ils sont dignes qu’elle repose sur eux par leur désintéressement et par leur foi dans l’avenir. »

Cela n’est-il pas écrit de ce matin, par un de ceux qui reprennent la même tâche avec les mêmes pressentimens, devant les mêmes symptômes et les mêmes besoins ? — Des mots, des mots, diront les sceptiques. Qu’ils aillent en vérifier les applications très pratiques, dans les débats sur les chemins de fer, les mines, les caisses de retraite ; surtout, qu’ils se rappellent un fait entre