par les yeux, ni par les oreilles. On n’y voit que des choses laides, et les belles choses s’y entendent à peine. Je ne sais quelle buée de froideur et d’ennui remplit cette salle trop grande, inhospitalière, figée dans son luxe de mauvais goût et sous sa croûte d’or. Les artistes chantent là-bas, là-bas, derrière un fossé que rien ne comble, que rien ne traverse. J’ignore s’ils s’intéressent au public ; mais le public n’a aucunement l’air de s’intéresser à eux. Il arrive à neuf heures, le public, que ce soit la première représentation de Thamara ou celle d’Ascanio, la dixième de Lohengrin ou la huit centième des Huguenots, et une fois arrivé, il bavarde. Les directeurs peuvent changer, le public et la salle ne changeront pas. Gardons-nous donc de juger une œuvre sur la seule audition. Rentrons et relisons-la dans le silence.
Le premier acte de Thamara nous a semblé un peu lourd, encombré de chœurs massifs, quoique bâti par un bon architecte classique, un élève de la grande école, nourri de Haendel et de Bach. L’originalité peut faire ici défaut, mais non pas la conscience, ni la science, ni le style ; le dialogue des groupes est bien coupé ; une belle phrase du grand-prêtre ; Elle a prié pendant des jours sans nombre, se développe avec une solennité toute sacerdotale ; cette autre : Une vierge animée de la force de Dieu, chantée par le pontife d’abord et reprise par la foule, est d’un caractère liturgique approprié à la situation. J’aime moins le finale à grand fracas, avec cuivres et réminiscences de Meyerbeer (les Huguenots, 1er chœur du IIIe acte) ; on me dira qu’il est à sept temps, chose rare, mais « le temps ne fait rien à l’affaire. » Il y fait beaucoup, répondrait M. Bourgault-Ducoudray ; et le temps, sans jeu de mots cette fois, le temps, au sens musical du terme, ou, pour parler plus exactement, le rythme et avec lui le mode, préoccupent avant tout l’auteur de Thamara. M. Bourgault n’a qu’un rêve, mais dont il ne s’éveille jamais : introduire dans l’art contemporain les rythmes et les modes antiques, et, par eux, accroître l’abondance et la beauté de la polyphonie et de l’orchestration, ces deux grandes sources de la musique moderne.
Modes et rythmes antiques ou orientaux, c’est tout un, l’Orient et avec lui les pays « à l’abri de la civilisation musicale » ayant seuls conservé les traditions de la Grèce. Aussi, un sujet oriental convenait-il particulièrement à M. Bourgault-Ducoudray. Il y fallait une couleur spéciale que le musicien n’a point épargnée. Il a varié les rythmes, écrivant ici un finale à sept temps, là un chœur de femmes à cinq, rompant à tout moment par des mesures inégales la carrure et la symétrie des périodes. De là, dans le discours musical, plus de souplesse et de liberté, parfois un peu d’incertitude, mais souvent un nouvel équilibre et des balancemens inconnus.
M. Bourgault n’a pas tiré moins bon parti des modes divers, ses chers modes dorien, phrygien, lydien ou autres. Quelle fortune pour