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REVUE. — CHRONIQUE.


mence. Les affaires commerciales deviennent plus que jamais un des élémens de la politique et elles réservent peut-être bien des surprises. L’avenir en décidera ! En attendant, c’est la paix qui règne, et d’aucun côté, à ce qu’il semble, il n’y a pour le moment de sérieuses menaces d’orages. Reste, il est vrai, l’imprévu qui est souvent le grand trouble-fête, — et c’est justement l’imprévu qui vient de se produire sur un des points de l’Orient où se rencontrent les influences européennes, en Égypte, par la disparition soudaine du khédive Tewfik-Pacha.

C’est par sa position, ce n’est pas par lui-même que Tewfik-Pacha est un personnage de l’histoire contemporaine, et ce sont les circonstances qui font de sa mort une sorte d’événement. Il avait à peine trente-neuf ans et il a régné douze ans. Il était le fils et l’héritier d’Ismaïl-Pacha, ce fastueux vice-roi qui expia un jour ses prodigalités et ses fautes par une déposition, et qui, après avoir erré en Europe, s’agite encore à Constantinople avec le regret de sa fortune et de son pouvoir perdus. Tewfik était un prince de goûts plus modestes et d’un caractère plus effacé. Ce faible descendant de la race de Méhémet-Ali, d’Ibrahim-Pacha, n’aura pas eu une destinée brillante, et si son règne a été sans éclat, il n’aura pas été sans agitations. La fortune ne lui a pas été propice. Pendant ces douze années de pouvoir, il aura vu le Soudan perdu pour l’Égypte à la suite de la guerre du mahdi, l’insurrection d’Arabi-Pacha, le bombardement d’Alexandrie, des révoltes, des crises, et tout cela conduisant à l’occupation britannique, qui dure encore. Ce malheureux khédive est mort sous la protection de sir Evelyn Baring et du général Grenfell. Il a aujourd’hui pour successeur un jeune homme de dix-sept ans, son fils Abbas-Pacha, qui récemment encore achevait son éducation à Vienne, et qui vient de se rendre au Caire pour recueillir la couronne. Le sultan, autant sans doute pour affirmer son droit de suzeraineté que pour couper court à toute complication, s’est hâté de donner l’investiture au nouveau khédive. Il ne reste qu’à décider si le jeune Abbas-Pacha, qui n’atteindra sa majorité que dans quelques mois, aura d’ici là un conseil de régence et quel sera ce conseil de régence d’une si courte durée. C’est peut-être déjà fixé. Par le fait, la transition s’accomplit sans crise. Le khédive s’appelait hier Tewfik, il s’appelle aujourd’hui Abbas ; mais on sent bien que le point grave n’est pas là, que cette mort soudaine a suscité une question plus délicate, celle de savoir si le changement de prince sera aussi un changement de situation pour l’Égypte, si devant un nouveau règne l’Angleterre se décidera à rappeler ses forces d’occupation, à quitter les bords du Nil. C’est la vraie question, qui n’est plus seulement égyptienne, qui intéresse l’Europe, qui a été aussitôt vivement agitée en Angleterre, où l’opinion ne laisse pas d’être partagée. Tout est là ! que l’Angleterre du torysme ne soit pas pressée de quitter l’Égypte, de tenir les promesses de retraite, qu’elle a si sou-