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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/625

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Après avoir posé en principe que le romantisme… laissons de côté ce mot, disons : après avoir posé en principe que ce qu’il faut, c’est une littérature conforme aux goûts, aux mœurs, aux croyances du temps où l’on vit, et après avoir présenté Pigault-Lebrun comme le modèle à imiter, Stendhal en vient à proposer comme sujets de poèmes pour la génération de 1820 « un Henri III, une Mort du duc de Guise à Blois, une Jeanne Darc, un Clovis et les Evêques. » Décidément, où en sommes-nous ? Ce qu’il faut, est-ce le réalisme, sous le nom de romantisme ou sous un autre, ou est-ce une littérature s’inspirant non du présent, mais du passé, se nourrissant d’histoire, mettant sous les yeux des vivans les mœurs, croyances, goûts et habitudes des hommes passés ? La vérité est que Stendhal ne s’est pas plus entendu sur les choses que sur les mots, et que Racine et Shakspeare, sauf quelques pages sur Shakspeare, sauf peut-être une théorie, très contestable du reste, mais intéressante, sur « l’illusion parfaite » au théâtre, est une obscure et pénible divagation d’un esprit à peu près incapable d’exposer une idée générale, même en critique littéraire, et peut-être d’en avoir une. — Au fond il était réaliste, cela est clair, et n’aimait la littérature d’imagination sous aucune forme. S’il aime Shakspeare, et on le voit toutes les fois qu’il en parle, à la façon dont il en parle, c’est d’abord parce qu’il y trouve sa chère « énergie ; » c’est ensuite et surtout parce qu’il y trouve de l’observation pénétrante et profonde. Son mot, aussi bien sur les comédies de Regnard que sur les tragédies de Voltaire, est toujours : « Cela ne peint pas les caractères. » Peindre les caractères, et les peindre par de « petits faits » très nets, très précis, très circonstanciés, voilà pour lui toute la littérature. Il a parfaitement raison d’estimer que cet idéal a été réalisé par Shakspeare. Shakspeare a fait bien d’autres choses ; mais il est certain qu’avant tout il a fait cela, et en maître. Si Stendhal ne reconnaît pas la même qualité dans Racine, c’est d’abord parce que Racine est Français, ensuite parce que Racine est en possession de l’admiration générale, deux choses que Stendhal pardonne difficilement ; enfin, parce que Racine, sans parler de son génie, a trop de talent pour Stendhal. Racine, sans qu’on puisse dire qu’il dissimule la profondeur de ses observations, du moins met son talent d’auteur dramatique à ne pas l’afficher, à ne pas l’accuser violemment, d’où vient que, surtout quand on ne veut pas la voir, il se rencontre qu’on ne la voit point. Racine est un Shakspeare qui se voile et un peu qui se dérobe, qui ne creuse pas le trait et ne souligne pas son effet, qui ne déteste pas se laisser un peu deviner ; et beaucoup, dont Stendhal ne laissait pas d’être, ont besoin d’une