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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/705

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morale, du second tout le dogme, et du troisième toute la discipline. Mais comme ils intéressent aussi les trois concupiscences : sentiendi, sciendi, vivendi, la discussion s’en trouve ainsi liée naturellement à la recherche des caractères des hommes, et voici qu’il s’en trouve trois de mêlés à toute cette théologie : Luther, Henri VIII et Calvin. Cependant, pour les connaître, nous ne pouvons pas les séparer des événemens qui les éclairent, et du milieu même de ces événemens, c’est-à-dire de ce qu’il y a de moins pur au monde, nous voyons comme surgir les contradictions qui les retranchent de l’Eglise, pour ensuite les diviser entre eux. C’est ce qui nous ramène constamment à notre sujet, et l’affirmation de l’unité de l’Eglise, toujours immuable et toujours conforme à elle-même, qui avait fait le début de l’ouvrage, après en avoir fait la vivante unité, en fait maintenant le dernier livre et la conclusion. Je ne connais rien de plus simple et de plus profond, de plus libre et de plus majestueux. Que si l’on se rend compte, après cela, de la nature et de la difficulté du sujet ; si l’on considère qu’il s’agissait de rendre visibles et comme palpables les variations de la réforme sur des matières comme celle du libre arbitre et de la transsubstantiation ; qu’il fallait passer alternativement de l’exposition ou de la discussion du dogme à la narration des faits, de la narration des faits au portrait des personnes, y passer sans effort apparent, fondre le ton du récit avec celui de la controverse, exposer, expliquer, réfuter, dogmatiser, rétorquer, raconter et peindre à la fois, et que Bossuet y a réussi, ce n’est plus assez de dire que l’Histoire des variations est le plus beau de ses ouvrages, il faut dire qu’elle est le plus beau livre de la langue française. Car, pour quel autre réclamerait-on ce titre ? Je ne pense pas que ce fût pour le Génie du christianisme, ni pour l’Essai sur les mœurs, ni pour l’Histoire naturelle, ni pour l’Esprit des lois ; — et cependant ce sont les seuls qu’on lui puisse comparer d’un peu loin.

J’aimerais à suivre M. Rébelliau dans l’examen qu’il fait du détail de l’Histoire des variations, et à montrer d’après lui ce que Bossuet y a mis de science, de patience, et de conscience. Si, par exemple, Bossuet emploie moins de documens, s’il puise à moins de sources qu’on ne s’y fût peut-être attendu, c’est qu’il s’est à lui-même imposé « de ne rien dire qui ne soit tiré le plus souvent des ouvrages des réformateurs, et toujours d’auteurs non suspects ; » et la loi qu’il s’était faite, il l’a fidèlement observée. C’est ainsi qu’il ne s’est servi, pour parler de Luther, ni des biographes catholiques du réformateur, ni des historiens catholiques du luthéranisme, ni même des biographes ou des historiens calvinistes. Nos historiens de la Révolution n’ont pas tous imité cette rigueur. Pour d’autres raisons, que nous appellerions purement scientifiques, il n’a pas cru devoir user