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tude, qu’elles se lient à une dépression sensible, croissante, des idées et des mœurs publiques, c’est qu’elles sont le signe d’un état moral où l’on s’accoutume à faire de la politique à coups de poing en mettant les brutalités de la force au-dessus du droit.

Par quelle étrange anomalie, ceux qui sont censés représenter les lumières, la raison, les instincts de modération du pays, sont-ils les premiers à donner l’exemple des emportemens, des dissensions intestines ? Le pays, lui, reste toujours paisible, laborieux, presque étranger aux querelles de parti, impatient des réformes pratiques, puisqu’on lui parle de réformes, mais assez froid pour toutes les expériences aventureuses. Ceux qui le représentent, dès qu’ils sont dans cette atmosphère factice de leurs réunions, ne cessent de mettre dans leur politique, dans leurs actes comme dans leurs débats, le trouble, l’excitation et l’imprévoyance. Ils vont au hasard, remuant tout, sans calculer les conséquences intérieures de ce qu’ils font, sans s’inquiéter des impossibilités ou des embarras qu’ils créent à leur gouvernement. Ils ont préparé fatalement peut-être avec ce code d’un protectionnisme outré qui vient d’être voté, qui est dès aujourd’hui la loi de la France, une crise commerciale des plus sérieuses. Ils ont surtout fait tout ce qu’ils ont pu pour provoquer, entretenir et aggraver cette agitation religieuse qui ne répond à aucun sentiment du pays, qui s’est récemment ravivée et vient de se compliquer d’un incident inattendu, encore inexpliqué : l’intervention collective des cardinaux de France livrant un manifeste de plus à l’ardeur des contradictions et des polémiques.

Ce n’est pas que par lui-même ce manifeste ait rien de particulièrement nouveau et de bien décisif. Il précise une situation sans l’éclaircir ; il résume une fois de plus un des plus graves problèmes contemporains sans le résoudre. Que dit-il, en effet, ce manifeste des cinq cardinaux, auquel vient de se rallier M. le cardinal Lavigerie, qui n’avait pas été d’abord consulté ? Il énumère avec un soin minutieux les griefs et les revendications de l’Église. Il trace un tableau complet des « mesures prises par le gouvernement contre la religion, » des atteintes portées à la foi catholique et à l’autorité ecclésiastique, des blessures faites au clergé : laïcisations à outrance, lois scolaires, loi militaire, sécularisation des hôpitaux, expulsion des aumôniers, proscription de l’enseignement religieux, suspension des traitemens, suppression des prières publiques, etc., tout y est ! D’un autre côté, il est vrai, les auteurs du manifeste désavouent toute arrière-pensée d’hostilité contre la république, toute intention de s’affranchir du concordat. Ils n’hésitent pas à se placer sur le « terrain constitutionnel, » à conseiller, à recommander aux catholiques « l’acceptation franche et loyale des institutions,.. le respect des lois du pays,.. le respect des représentans du pouvoir… » Malheureusement, ce manifeste, tel qu’il est, avec ses bonnes intentions et ses contradictions au moins appa-