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quel autre fonctionnaire. Et l’on pourrait encore à ces noms ajouter ceux de sir Evelyn Baring, qui était ministre des finances de l’Inde, et de M. Moncrieff, ingénieur civil qui a dirigé avec succès l’irrigation et dont le gouvernement russe a, dit-on, cherché à s’assurer les services. Il me semble que les considérations et les constatations qui précèdent diminuent la portée de l’accusation.

Et pour le reste, voici ma réponse. Les deux opinions opposées que j’ai citées ne se réfèrent à des hommes ni de la même classe, ni de la même époque. Comme le faisaient observer les lettres que j’ai reproduites plus haut, un service aussi vaste que celui des Indes renferme des hommes de valeur très inégale. C’est en vain qu’au moment du concours ils étaient presque de pair ; c’est en vain qu’ils ont débuté par les mêmes postes ; la vie et ses enseignemens quotidiens leur profitent inégalement et ne tardent pas à les différencier et à les séparer. Les esprits de valeur moyenne ne dépassent pas le rôle d’agens d’exécution et, à moins de protections puissantes, s’arrêtent au grade de chef de district, de député commissaire : c’est là leur bâton de maréchal. Les autres, plus brillans ou plus profonds, arrivent assez rapidement aux positions de commissaires de division, de commissaire en chef, de secrétaire de gouvernement, de gouverneur, etc. À mesure qu’ils grandissent, l’exercice de pouvoirs plus étendus, le contact d’esprits plus éminens développent leurs facultés naturelles et d’hommes distingués font des hommes supérieurs. Or ces hommes supérieurs, titulaires des fonctions les plus considérables, ce sont eux surtout que fréquentent et qu’entretiennent les vice-rois et leurs ministres ou les voyageurs de distinction, comme était M. de Hübner ; et il n’est pas défendu de croire que, séduits par leurs talens, on a pu étendre un peu complaisamment à l’ensemble du service civil l’opinion flatteuse qu’on avait conçue de ses meilleurs représentans.

On peut toutefois, à ce qu’il me semble, trouver de ces contradictions d’autres explications plus sérieuses et plus profondes. Ces explications reposent sur deux constatations qui, toutes deux, concernent le recrutement des fonctionnaires. Ce recrutement a été, depuis un certain nombre d’années, profondément modifié : une des causes de ces modifications est purement temporaire ; il dépendait du législateur de la supprimer, et c’est ce qu’il a fait à l’heure où j’écris ; l’autre paraît être d’un caractère permanent.

Voici la première. La commission que présidait lord Macaulay s’était proposé d’attirer au service de l’Inde l’élite intellectuelle de la nation, c’est-à-dire, dans son opinion, les jeunes gens qui auraient suivi les cours de l’Université. Pour cela, elle avait combiné et les programmes et la limite d’âge du concours de