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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/840

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mais superficiels et passagers. Bientôt, il en éclata d’autres plus profonds et d’un plus long retentissement, mutineries d’enfans dans les collèges, véritables révoltes de jeunes hommes dans les Facultés. Ils n’avaient pas simplement pour causes les instincts frondeurs et batailleurs de la jeunesse ; plus profonde était leur source. Il faut bien se représenter l’état d’âme de cette jeunesse venue au monde avec la fin du XVIIIe siècle ou le commencement du XIXe. De quels événemens elle portait l’empreinte, de quels spectacles elle avait eu la vue : une révolution faite par ses pères ou contre ses pères, exaltée par les uns, maudite par les autres ; les assises de la société changées ; le droit humain substitué au droit divin ; les excès de la licence et la tyrannie sanglante ; la patrie menacée et sauvée ; la France agrandie ; puis l’empire d’un soldat, et pendant dix ans le fracas et la gloire des batailles, l’assoupissement et la honte de la servitude ; à la fin la patrie épuisée, deux fois envahie ; ses frontières diminuées ; le roi d’autrefois ramené par l’étranger ; les espérances contraires ; la lutte des partis ; l’esprit de liberté méconnu et trompé ; la contre-révolution menaçante ; la révolution réveillée. Quelles causes de division, d’excitation, d’agitation ! « Humiliés, a dit l’un d’eux, consternés, irrités cependant et pleins de ressentiment et de défiance envers les puissances de ce monde, les vaincues comme les victorieuses[1], » les plus nombreux se rangeaient résolument du côté de la Révolution, mais avec bien des différences dans les espoirs et dans les tempéramens, les uns s’enrôlant simplement derrière les idées, espérant tout de leur puissance ; les autres, prêts à l’action, donnant leur nom aux racoleurs des sociétés secrètes ; ceux-ci, acceptant franchement la monarchie, mais la voulant libérale ; ceux-là, identifiant la Révolution avec l’Empire ; quelques-uns enfin, en beaucoup plus petit nombre, rêvant de République et pour souverain n’admettant que le peuple.

Quand il y a dans la jeunesse de tels fermens, il suffit, à l’éruption d’une fissure, d’un prétexte. Les désordres des écoles en 1819, que les historiens de la Restauration ont tous notés comme un des symptômes du temps, n’eurent pour occasion que des faits sans importance : à Montpellier, une futilité, un débat avec un directeur de théâtre sur le prix des places ; à Paris, quelques sifflets à l’adresse d’un professeur libéral. Mais le désordre ne fut pas sans gravité. A Montpellier comme à Paris, il fallut la force armée ; le sang faillit couler ; les études furent suspendues, et il s’en propagea une longue agitation dans les autres écoles.

Naturellement, par contre-coup, ces événemens ébranlaient la Commission d’instruction publique, et particulièrement celui qui la

  1. De Rémusat, Réception de Jules Favre à l’Académie française.