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et de l’espérance. Rompant avec le matérialisme du XVIIIe siècle, avec l’idéologie subtile et stérile des premières années du XIXe, il avait retrouvé les titres de l’âme et des idées nécessaires ; dans son cours de 1818 en particulier, après un voyage en Allemagne, « comme une sorte d’hiérophante venant d’un monde invisible annoncer des choses inconnues[1], » il avait établi sur la notion de l’idéal une métaphysique, une esthétique et une morale. Avec lui l’enseignement supérieur s’était élevé et agrandi. Autour de lui, à son élan, une jeunesse enthousiaste se vouait au culte des idées et de la liberté. « On se représenterait difficilement aujourd’hui, a dit un témoin, ce qu’étaient de telles leçons pour les générations qui les ont entendues. Par elles, les âmes renaissaient à l’espoir, à la confiance, à la fierté… C’est le temps où de jeunes cœurs firent vœu de se consacrer au culte du juste et du vrai, à la défense du droit, et acceptèrent la mission qui devait être celle de toute leur vie. Pour garantir le triomphe du vrai et du juste, il n’y avait qu’un moyen, et sur les débris de la grandeur et de la gloire, nous vîmes s’élever comme une image consolatrice, la liberté[2]. » — Pour le Conseil royal et pour son chef, c’était de la politique, et la pire de toutes, celle qui change l’esprit public. Victor Cousin fut condamné. On ne le révoqua pas, il n’était pas professeur titulaire ; on se borna à ne pas renouveler sa délégation annuelle à la suppléance de Royer-Collard.

Quelque temps après, le Collège de France voulut lui rendre la parole publique. La chaire de droit naturel étant devenue vacante, il fut unanimement présenté pour l’occuper. Le gouvernement passa outre et nomma un inconnu, M. de Portets, qui lui offrait toutes garanties de médiocrité et de bon esprit.

A son tour, Guizot fut frappé. Son enseignement à la Faculté des lettres n’avait pas même éclat que celui de Cousin. Mais c’était aussi un enseignement d’idées générales, les idées dans l’histoire. M. de Frayssinous, nous dit son biographe, n’avait accepté la maîtrise universitaire que par obéissance : « Je n’espère pas faire beaucoup de bien dans l’Université, disait-il, mais seulement y empêcher beaucoup de mal. » Un des maux qu’il se crut mission d’arrêter fut sans doute un protestant grave et sérieux exposant philosophiquement l’enchaînement des événemens humains : « Placé, nous dit un écrivain légitimiste, entre sa conscience et la loi, en cette occasion, il sacrifia la loi[3]. »

  1. Paul Janet, Victor Cousin.
  2. De Rémusat, Réception de Jules Favre à l’Académie française.
  3. De Riancey, Histoire critique et législative de l’instruction publique, etc., p. 312.