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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/885

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soldat comme lui, victime, d’ailleurs, de la plus déplorable erreur judiciaire ? En même temps il adressait à l’Union maritime, dont il était membre, un appel désespéré, et suppliait cette association de prendre sa cause en mains, d’organiser en sa faveur une pétition aux autorités. Il récriminait, en attendant, contre tout le monde, accusait le jury de faiblesse, le président de partialité. Vingt fois il refaisait aux agens de service le récit de sa rencontre avec l’étranger, cet abominable étranger dont la duplicité allait lui coûter la vie. Mais quoi ? que disait-il ? Était-il admissible que l’opinion ne lui revînt pas et qu’on l’accrochât à la potence, comme un chien ? Allons donc ! il n’y croyait pas, d’abord, à l’exécution de la sentence, il savait bien que ce n’était pas sérieux, et qu’on finirait par le relâcher ! Et son attitude se ressentait de cette confiance sincère ou simulée, conservait encore une apparence de calme et de force. Quand on lui apprit qu’il ne subirait sa peine que le 20 août, il puisa dans la décision du haut shérif de nouveaux motifs d’assurance. Il fit remarquer qu’on aurait pu le mener au gibet dès le 17, c’est-à-dire le lendemain du troisième dimanche. Décidément, le gouvernement se conduisait bien ; bien sûr, la fédération des marins avait intercédé auprès de lui. Pourtant les heures fuyaient, les longues journées monotones s’écoulaient l’une après l’autre, et rien n’arrivait du département de l’intérieur. La forfanterie avait disparu, tout au plus restait-il encore un peu d’espérance. A mesure que s’approchait la date fatale et que chaque soleil levant dissipait l’illusion conçue la veille, le cerveau du misérable devenait la proie des chimères. Tantôt c’était l’espoir qu’une circonstance extraordinaire attirerait sur lui la pitié du monde ; ou bien la reine elle-même, informée de sa situation, enverrait par télégramme, par courrier, l’injonction de le rendre à la liberté. Ce n’était pas la première fois que pareille chose se serait vue. Justement, il avait lu dans un roman une histoire semblable, un cavalier accourant à bride abattue, sur le lieu du supplice, et agitant, du plus loin qu’il le pouvait, la feuille où une main royale avait daigné parafer l’acte de clémence. Alors, il interrogeait les gardiens sur la vraisemblance de ses suppositions, et s’ils se taisaient, l’air ennuyé, haussant les épaules, il tressaillait à l’idée que c’était fini, bien fini, et qu’il n’avait plus rien à attendre de la compassion des hommes…

18 août. — La réponse du home secretary arrive deux jours avant l’exécution. Le gouverneur de la prison ouvre la lettre, en communique à Conway le contenu. Le dossier a été scrupuleusement examiné, il n’y a pas de raison appréciable pour que justice ne soit pas faite. Ainsi le recours en grâce est rejeté. Le