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Bourges l’acheta pour en faire la maison commune, et la fière devise : A vaillans cœurs, rien impossible, se trouva justifiée. Si, dans cette grande œuvre de l’émancipation du tiers-état, beaucoup d’hommes, et des meilleurs, ont succombé à la peine, leur cause devait pourtant triompher un jour : elle avait pour elle le bon droit et l’avenir[1]. »

Charles VII, fréquemment en Berry, y changea souvent de résidence. On le vit à Celles-sur-Cher, à Sully, à Saint-Amant, à Vierzon, à Mouton, à Salle-le-Roi, nom d’un vieux manoir placé en pleine forêt ; puis encore au château de Bois-Trousseau, transformé en Boissire-Aimé, après que la belle Agnès y fut venue trouver son amant. Deux fanaux, placés tout au haut d’une tour, avertissaient celui-ci qu’un tendre accueil l’attendait. Au château de Dames, toujours dans le même voisinage, se trouvent encore les portraits du roi et de sa gentille maîtresse. Le premier est représenté en Hercule, avec peau de lion et massue. La seconde est dans un costume moins mythologique.

D’après La Thaumassière, la belle Agnès aurait été l’un des principaux instrumens de la perte de Jacques Cœur ; elle aurait, affirme-t-il, employé tout son crédit sur l’esprit du roi pour lui donner de mauvaises impressions contre ce ministre ; elle reprochait secrètement à celui-ci d’avoir dit au souverain qu’elle l’empêchait de suivre le cours de ses victoires et de chasser les Anglais hors de son territoire. Un autre historien assure que l’amour que le roi eut pour « cette belle ne lui fit pas si grand tort qu’aucuns ont cru… » Il rapporte qu’Agnès, « voyant ce prince entièrement plongé dans les délices, ne songeant qu’à se divertir, se servit de l’amour qu’il lui témoignait pour exciter son courage. Elle lui dit qu’un astrologue lui avait autrefois prédit qu’elle serait aimée d’un des plus courageux et victorieux rois de l’Europe ; elle avait cru, lorsque le roi de France lui fit l’honneur de la distinguer, qu’il était ce roi magnanime, et cela l’engagea à l’aimer plus volontiers ; mais qu’ayant depuis fait réflexion sur les actions de ce roi et celui d’Angleterre, voyant l’un, dans la volupté, négliger ses affaires et souffrir lâchement la perte de son royaume sans y apporter remède, et les armes de l’autre prospérer de jour en jour et faire de nouvelles conquêtes sur le premier, elle reconnaissait que c’était le roi d’Angleterre qui avait été désigné par la prédiction, et témoigna qu’elle allait le trouver. Ce reproche eut tant de force sur l’esprit du roi, qu’il commença dès lors à penser à ses affaires et s’y appliqua si fortement, qu’avec l’aide de Jeanne d’Arc, de ses

  1. Histoire du Berry, par Raynal, 1845.