Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
LES ANGLAIS EN BIRMANIE.


dangers une existence pleine d’agrémens. Lorsque, d’une manière officielle, on chercha parmi eux des volontaires pour la nouvelle province, on ne rencontra que des hommes d’un mérite assez ordinaire et de prétentions, en revanche, excessives. On se borna à en choisir une demi-douzaine[1].

Pour attirer dans cette province discréditée les plus qualifiés des fonctionnaires de l’Inde, il eût fallu leur offrir des avantages considérables. Or précisément, pour des raisons financières que tout le monde connaît, le gouvernement de l’Inde est, à l’heure présente, d’une économie féroce et a la prétention de faire énormément de besogne avec fort peu de monde[2]. Lord Dufferin avait cru, en février 1886, pouvoir gouverner la Haute-Birmanie avec un état-major (police non comprise) de vingt-quatre personnes ; il en fallut plus de soixante, et ces soixante ne suffirent pas. Ce mécompte entraîna certaines infractions aux habitudes de l’administration indienne, et ces infractions furent autant de fautes. Les meilleurs fonctionnaires, qui, — notons le fait, — étaient presque toujours les plus âgés, partout réclamés et partout nécessaires, étaient fréquemment déplacés ; là où les difficultés semblaient croître, on envoyait le plus habile. Au bout de quelques mois de ce rude métier, ils étaient tous épuisés, plusieurs devaient se retirer pour raison de santé, et l’administration passait à de moins capables. La justice, notamment, fut trop souvent confiée à de jeunes hommes sans grande autorité et néanmoins sans souplesse. Enfin, comme une première faute en entraîne d’autres, l’oubli des règlemens, le mépris de l’ancienneté et de ses droits, conduisirent naturellement au caprice et à la faveur. Certaines fonctions considérables furent attribuées à des agens que ne qualifiait ni leur âge ni leur mérite.

Toutefois, ne l’oublions pas, ce n’étaient là que des exceptions assez rares d’ailleurs, quelques taches qui disparaissaient dans un ensemble satisfaisant. Le corps des fonctionnaires de Birmanie restait, malgré tout, à peu près au niveau de ses collègues de l’Inde et parfaitement de taille, — nous le verrons, — à mettre en valeur les ressources de la nouvelle possession.


Joseph Chailley-Bert.


  1. Voyez Burma, 1886, 3, p. 40, le rapport de lord Dufferin.
  2. La même prétention existe dans l’administration anglaise des colonies : d’un bout à l’autre de l’empire, dans toutes les colonies dont l’administration relève de la couronne, les agens succombent sous une besogne excessive. Voyez, à ce sujet, certains articles très curieux, parus en 1889, notamment dans le London and China Telegraph : Wanted more officials.