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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/93

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LE BERRY

refuse, donne lieu à des protestations chaque jour plus vives : La province se sent trop en tutelle, trop effacée. Beaucoup d’esprits qui brilleraient s’ils avaient la possibilité d’y montrer leur mérite, abandonnent leurs foyers avec l’espérance de fournir dans la capitale une carrière qui les illustre ou les enrichisse. Sur mille, en est-il cinq qui réussissent ? Je ne le pense pas. Ceux qui échouent ne font qu’augmenter le nombre des déclassés qui, sur une arène moins courue, fussent devenus des hommes de valeur et eussent été placés hors de pair.

La centralisation, a-t-on dit avec raison, dérobe au pays la liberté qui lui est due et l’habitue au despotisme. Voici ce que Alexis de Tocqueville dit à ce sujet : « Sans institutions locales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté. Des passions passagères, des intérêts d’un moment, le hasard des circonstances peuvent lui donner les formes extérieures de l’indépendance ; mais le despotisme, refoulé dans l’intérieur du corps social, reparaît tôt ou tard à la surface. »

Ce que Tocqueville appelait l’intérieur du corps social est clairement indiqué, c’est Paris ; ce qu’il qualifiait de despotisme n’est autre chose que la centralisation à outrance. Ce n’est qu’à Paris, en effet, qu’une minorité turbulente peut peser sur les destinées de la France, et précipiter celle-ci dans des complications aboutissant à d’effroyables résultats. Est-ce que ces grèves, qui éclatent de tous côtés, n’indiquent pas qu’au lieu d’abdiquer, chacun songe à se ressaisir, à défendre au moyen de syndicats sa destinée et ses droits ! On semble vouloir revenir aux jurandes, aux maîtrises, à la réinstallation des anciennes universités, mais pourquoi ? Par crainte d’une absorption centralisatrice qui ne paraît profiter qu’aux habiles et aux détenteurs de grands capitaux.

Sans doute, nul ne songe à revenir vers ce que nos ancêtres ont éloigné d’eux, à reprendre des institutions reconnues oppressives ou fécondes en abus ; mais, comme le disait ce président de cour d’assises à Dumas père, en parlant des auteurs dramatiques, il y a des degrés en tout. Évidemment, personne n’oserait proposer de donner à chacun de nos départemens l’indépendance et l’autonomie dont jouissaient au moyen âge les anciennes provinces, et cependant, ne faudrait-il que se familiariser un peu plus avec l’historique de l’ancienne France, pour voir renaître cet esprit de liberté dont parle Tocqueville et quelque chose des particularités qui distinguaient nos provinces les unes des autres. « Le lien qui nous attache à la France, a dit M. Renan, ne diminue pas la force et la douceur de nos sentimens individuels et locaux. » Il reconnaît, toutefois, que si le Breton tient à Paris son pardon, et le