leur petite poitrine de bois. Et peut-être l’humanité leur sied-elle moins que le rêve surnaturel et la prière. Peut-être en les faisant vivre davantage, a-t-on diminué leur poésie et notre illusion. N’importe, le spectacle demeure encore charmant. Le second acte surtout est délicieux, et délicieux par un contraste familier à M. Bouchor, mais que le poète n’avait peut-être jamais aussi heureusement accusé, entre l’élément sérieux, touchant même, et l’élément comique. Le comique chez M. Bouchor est d’un genre spécial : il a quelque chose de succulent et pour ainsi dire de culinaire, consistant souvent dans une joyeuse antithèse de mysticisme et de goinfrerie, mélange de Jacques de Voragine et de Gargantua ; Jordaëns et Fra Angelico panachés.
Légèrement indiquée par le vieux berger de Noël, cette opposition de l’esprit et de la matière a fait rire encore en certains passages de Sainte Cécile. En d’autres, singulièrement affinée et relevée, au second acte notamment, elle a fait penser. Le rideau se lève et découvre un gros proconsul endormi, affalé sur son siège consulaire et poussant des ronflemens d’ivrogne. A droite, le roi du vague Orient où se passe la tragédie, celui qui poursuit la pure Cécile de ses désirs criminels ; à gauche, une sorte de poussah ventru, joufflu, lippu, au crâne luisant, avec une face rubiconde de Silène bon enfant. Tous deux s’entretiennent de la vierge rebelle, de ses refus et de son prochain supplice. On entend une suave cantilène : c’est Cécile qui joue de la viole et chante avant de paraître devant ses juges. La voici qui vient ; elle est très douce, elle a des cheveux blonds couronnés de roses. Le proconsul continuant de dormir et le roi ne se sentant pas de rage, le magot se charge d’interroger la jeune fille. Il le fait avec beaucoup de bonhomie, d’ironie sereine, et la plus plaisante inintelligence de cet « état d’âme » qui dut en effet étonner le paganisme au moins autant que l’indigner.
Il m’incombe un devoir
Qui, pour d’autres, serait peut-être difficile.
Soyons un juge exquis, parlez, noble Cécile :
Vous persistez sans doute à renier les Dieux ?
Je confesse le Christ miséricordieux,
Fils unique du père.
Obscur. Je vous engage
A ne point abuser de ce nouveau langage.