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LE BERRY.


mousses et les lichens, et qui servent d’asile à d’innombrables vipères, mais il y a des recoins d’un charme infini et dont il est impossible de ne pas être ravi. C’est ce qui fait qu’on voit, tous les ans, des artistes, des peintres et des naturalistes, s’y installer comme ils s’installent à Barbizon, certains qu’ils sont d’y rencontrer ce que d’autres vont chercher au loin : les uns, des amoncellemens granitiques ou schisteux tout aussi colorés par le soleil que les gorges d’El-Kantara ; les autres, des plantes et des lépidoptères qu’on ne voit croître et voltiger qu’en Algérie. Dans cette région brûlée appelée la Varenne, on cultive aussi un peu d’orge, du seigle et de l’avoine. À côté, il en est une autre nommée le Fromental, et qui est une des parties les plus fertiles, ainsi que son nom l’indique, de cette limite sud du Berry.

Il n’y a pas loin de Gargilesse à la contrée du Bourbonnais, où des feux souterrains minent le sol ; elle n’est pas loin non plus, cette frontière romantique du vieux Berry, tellement semblable aux hautes terres d’Ecosse ou à une Suisse en miniature, qu’on y songe d’Ivanhoé et de Guillaume Tell. À chaque pas, on s’y heurte aux ruines d’une forteresse féodale, à quelque donjon, couronné de lierre comme un faune, ou à la chapelle éventrée d’un monastère abandonné. Hauts barons en révolte contre leurs suzerains, hobereaux détrousseurs de grands chemins, puissans abbés en délicatesse avec leurs évêques, s’y sentaient trop bien protégés par une nature sauvage pour qu’ils n’y jetassent pas les fondations d’un refuge inattaquable. Toute la féodalité, tout le moyen âge est là, gisant sous les ruines des abbayes d’Orsan et de Fongombault, sous les murs jaunis et croulans des châteaux et forteresses de Sainte-Sévère, Grozon, Culan, la Roche-Guillebault, Châteaubrun, les Deux-Clins, Gargilesse et Plaix-Joliet. « Ce qui n’a pas du tout d’histoire, dit George Sand en parlant de Gargilesse qu’elle aimait beaucoup, c’est le rivage agreste de cette partie de la Creuse encaissée entre deux murailles de micaschiste et de granit, depuis les roches Martin jusqu’aux ruines de Châteaubrun. Là n’existe aucune voie de communication qui ait pu servir aux petites armées des anciens seigneurs. Le torrent capricieux et tortueux, trop hérissé de rochers quand les eaux sont basses, trop impétueux quand elles s’engouffrent dans leurs talus escarpés, n’a jamais été navigable. On peut donc s’y promener à l’abri de ces réflexions, tristes et humiliantes pour la nature humaine que font naître la plupart des lieux à souvenirs. Ces petits sentiers, tantôt si charmans quand ils se déroulent sur le sable fin du rivage ou parmi les grandes herbes odorantes des prairies, tantôt si rudes qu’il faut les chercher de roche en roche dans un chaos d’écroulemens pittoresques, n’ont