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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/100

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depuis dix ans. Dans les espaces vides du Champ de Mars s’élevaient à tous les pas1 des édifices nouveaux : les Septa julia, sorte de muraille de marbre pour enfermer les citoyens pendant les élections ; le portique d’Octavie, avec ses riches bibliothèques ; le théâtre de Marcellus, le Panthéon d’Agrippa. C’était partout une fièvre d’embellissemens et de reconstructions que nous avons peine à nous figurer. En une seule année, Auguste fit réparer ou rebâtir quatre-vingts temples qui avaient souffert du temps ou des discordes civiles. On imagine sans peine l’effet que devaient produire sur les étrangers la beauté de cette ville, qui semblait renaître, et le spectacle de ces jeux, « que personne n’avait vus et que personne ne devait revoir. » De retour dans leur pays, ils répandaient autour d’eux l’impression qu’ils avaient reçue ; et il est probable que, grâce à leurs récits, ces fêtes magnifiques ont fait l’entretien du monde entier.

À Rome aussi, le souvenir en était resté populaire ; ce qui le prouve, c’est l’empressement qu’ont mis plus tard les empereurs à les renouveler. Ils n’eurent pas la patience d’attendre cent ans pour donner de nouveaux jeux séculaires. Claude prétendit qu’Auguste s’était trompé dans ses calculs et se crut en droit de les célébrer de nouveau en l’an 800 de Rome (47 après J.-C). Domitien, au contraire, soutint qu’Auguste avait raison, et quarante ans après ceux de Claude, il recommença. En 248, Rome entamait la millième année de son existence. À cette occasion, les vieilles cérémonies furent reprises ; de plus, on fit combattre ensemble mille paires de gladiateurs, et l’on exhiba dans l’arène les bêtes les plus rares et les plus féroces : des éléphans, des tigres, des lions, des léopards, des hyènes, des hippopotames, des rhinocéros, des girafes, etc. Ce fut une des plus grandes tueries d’hommes et d’animaux qu’on eût jamais vue. Mais voici ce qu’il y avait de plus extraordinaire dans la fête : cet empereur romain, qui présidait à la cérémonie entouré des quindécimvirs, ce successeur d’Auguste, était un Arabe de naissance, le fils d’un chef de brigands ; ce prince, qui sacrifiait sérieusement des bœufs blancs à Jupiter et une truie pleine à la déesse Terre, ne croyait ni à la déesse Terre ni à Jupiter ; il était probablement chrétien. Enfin, au moment même où l’on remerciait les dieux de la prospérité de l’empire, les barbares l’envahissaient de tous les côtés : les Perses menaçaient l’Orient, les Goths paraissaient sur le Danube, les Germains étaient prêts à passer le Rhin. Cent ans plus tard, le christianisme triomphait : ce n’était plus le temps de célébrer les jeux séculaires. Zosime le déplore amèrement. « Si les saintes cérémonies, dit-il, avaient été religieusement observées, ainsi que