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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/122

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offre deux choses à la démocratie : la foi à l’invisible et un gouvernement spirituel. Ce sont là justement les deux choses dont la démocratie moderne aurait peut-être le plus besoin, et ce sont précisément celles pour lesquelles le quatrième état a le moins de goût. Il n’a cure de l’invisible, et il se soucie peu d’être gouverné, comme un enfant de bonne maison, par un précepteur ecclésiastique. Tout joug lui répugne, tout joug spirituel surtout ; et quand il voit l’Eglise s’approcher de lui, l’appeler, le caresser, il craint de tendre le col au licou.

L’Église, dira-t-on, a dompté d’aussi fiers courages et courbé l’orgueil de plus nobles et plus altiers conquérans. Des empereurs romains et des rois barbares au néo-Charlemagne corse, toutes les puissances qui ont régné sur le monde se sont fait sacrer et légitimer par elle. Pourquoi la nouvelle souveraine, l’impatiente héritière des vieilles dynasties ne ferait-elle point comme ses prédécesseurs à l’empire ? et n’irait-elle pas, à son tour, s’agenouiller devant la main qui a baptisé les Césars et oint les monarques ? La papauté est là, semble-t-il, qui l’attend sur le parvis des romaines basiliques, prête à la couronner dans Saint-Pierre, ou à traverser les Alpes pour aller, à Reims ou à Notre-Dame, répandre sur son front l’huile de la sainte ampoule. Mais, au rebours de tous les fondateurs de dynasties et des usurpateurs d’autrefois, l’orgueilleuse parvenue se soucie peu de faire consacrer son droit à régner ; elle a plus de présomption, et elle a plus de confiance en son droit que tous les potentats et les monarques qui ont tenu dans la main le globe surmonté de la croix. Elle prétend être reine, par droit de naissance, comme par droit de conquête ; elle ne veut tenir sa souveraineté que d’elle-même et n’entend point la partager ; elle rejette toute tutelle, et, plus que toute autre, celle de l’Église, celle des prêtres, des moines, des hommes qui portent la robe et la calotte, race dont elle goûte peu l’autorité, dont sa jeunesse a trouvé les leçons importunes et dont son humeur gouailleuse aime à se gausser librement.

Le mal, en effet, le grand mal, — il faut toujours en revenir là, — c’est que, loin de sentir la vertu sociale du christianisme, la démocratie moderne la méconnaît. Si elle ne met pas plus d’empressement à répondre aux avances de l’Église, ce n’est pas uniquement par orgueil, par manque de foi, par horreur de tout joug. Entre la papauté et la démocratie ouvrière, il y a, je le crains, autre chose que les rancunes du passé, autre chose encore que des malentendus et des préjugés, autre chose même qu’une sorte d’incompatibilité d’humeur. Entre elles, pour qui veut creuser un peu, le différend est plus profond.

Nous touchons ici à un point essentiel que nous avons plus