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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/125

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l’occasion, le concours de la vieille mère dont elle raille dédaigneusement les crédules espérances. Le socialisme est en train de se faire politique ; il a passé par les universités de l’Allemagne et il y a pris ses degrés ; il a suivi, à Berlin, les leçons des maîtres du réalisme et du grand professeur de la politique pratique ; il devient, lui aussi, diplomate ; il se dépouille, peu à peu, de ses préjugés de naissance, et son ancien fanatisme lui paraît suranné. Ses idées se sont affinées, en même temps que ses manières ; ce n’est déjà plus le rustre grossier, le butor ignorant que nous avons connu ; il a appris à se présenter dans un salon et à parler aux puissans et aux grands de ce monde ; il commence à savoir compter avec les faits ; il ne songe plus autant à emporter les obstacles de vive force ; il est prêt à se servir de toutes les complaisances et les complicités qu’il peut rencontrer en chemin. Suivant l’exemple de l’ermite de Friedrichsruhe, il ne répugnerait point, au milieu des hasards d’une bataille électorale, à faire intervenir, en sa faveur, le vieux pontife de Rome, les Pfaffen et les curés. Pour se hisser au faîte où il prétend monter, il prendrait volontiers toutes les mains, celle de Dieu, comme celle du diable. N’était le respect humain, s’il y croyait trouver son compte, il irait peut-être au besoin jusqu’à baiser la mule du pape. N’avons-nous pas entendu récemment, à la tribune du Palais-Bourbon, au milieu des trépignemens de la gauche scandalisée, le gendre de Karl Marx, le député collectiviste de Lille, se mettre, pour ses débuts au parlement, sous le patronage de Léon XIII ? Cela seul est un symptôme dont les colères de l’extrême gauche ont montré qu’elle comprenait la gravité. Qu’importent, après tout, aux masses ouvrières la lutte contre les évêques et « le péril clérical ? » Elles commencent à s’apercevoir que ce n’est là, pour les radicaux bourgeois, qu’un leurre décevant à piper le suffrage des naïfs. Le bon sens du peuple semble se lasser de ce jeu des politiciens dont il a été si longtemps la dupe. Le prolétaire réclame des satisfactions plus substantielles et il est prêt à les accepter d’où qu’elles viennent. « L’Église veut-elle nous donner un coup d’épaule, nous pourrons bien laisser les curés tranquilles, » disait un des chefs du socialisme français, M. Guesde, si je ne me trompe. Et c’est à peu près ce que répétaient, en d’autres termes, vers le même moment, les leaders socialistes de l’Allemagne, les Bebel et les Liebknecht. — Laisser les curés tranquilles, c’est à cela, il faut bien le dire, que se bornerait, pour les mieux disposés, la reconnaissance des socialistes envers l’Église. Certes, par le temps qui court, cela seul est quelque chose, et n’eût-il, avec son encyclique et ses discours aux ouvriers, rien gagné de plus sur les masses ouvrières, le pape Léon XIII n’eût pas fait de mauvaise besogne. Mais est-ce assez pour sceller