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c’est que, de nos jours, on y croit peu ; l’on enseigne aux peuples à n’y plus avoir foi, et si vous osez lui en parler, le gamin de Belleville ricane.

Ainsi en est-il de notre France, ainsi en va-t-il de notre peuple français et de nos classes ouvrières. Il leur manque ce qu’il nous est malaisé de leur rendre, une foi, une religion vivantes ; car de quelle manière rendre à autrui ce que, trop souvent, nous n’avons plus nous-mêmes ? Heureuse encore cette France si, à travers ses crises politiques et ses luttes sociales, elle conserve intact ce qui lui reste de foi en Dieu et en l’Évangile ! Le pape a beau nous dire, et nous faire dire, et dans ses encycliques, et par ses cardinaux, et par le Petit Journal, que l’Église n’a rien d’incompatible avec la république, — la déchristianisation du peuple continue à nous être donnée comme la tâche essentielle de la république. L’œuvre de destruction religieuse et de décomposition morale entreprise par les héritiers attardés du XVIIIe siècle s’y poursuit sûrement, sous le couvert des défiances et des rancunes politiques. Un nihilisme haineux et patient, plus pernicieux peut-être que le terrorisme violent des jacobins d’autrefois, pénètre peu à peu les couches gouvernementales ; il suinte lentement le long des murs de nos édifices publics et, de proche en proche, il s’infiltre jusqu’au cœur du pays. Presque partout déjà la haute main est aux « destructeurs ; » et derrière le radicalisme qui leur fraie le chemin, s’avancent les partisans des démolitions totales. Cette pauvre France, déjà amputée de plus d’un organe social par le fanatisme « laïque, » nous risquons fort de la voir bientôt livrée, par ses préjugés, à toutes les mutilations des barbares opérateurs qui portent témérairement le couteau sur le cerveau et sur la poitrine du peuple. Comment, dans un pareil pays, quand chaque législature marque une nouvelle conquête de l’athéisme militant et des négateurs obstinés, comment restituer à Dieu et à son Christ leur rôle social ? — N’est-ce pas, en vérité, une chimère décevante ? — Pas autant peut-être que cela le semble à notre incrédulité ; car, au-dessous de la vie publique et de l’action de l’Etat, il reste l’initiative privée, l’action des hommes de foi et de dévoûment qui s’exerce en sens inverse, et qui, à la longue, peut amener le pays à s’arracher au joug intolérant des ennemis de l’Évangile et des contempteurs du Christ. Si malaisée que soit l’entreprise, ne vaut-elle point la peine d’être tentée ? et pourquoi retenir ceux qui disent : « Dieu le veut ! » Mais quand notre scepticisme devrait avoir raison, quand la moderne croisade, prêchée aux peuples par Léon XIII, ne devrait trouver, chez nous, que des indifférens et ne donner en France que des résultats minimes,