Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à droite pour gagner les hauteurs de Saint-Cloud, lorsqu’enfin il fut renseigné sur les procédés de M. de Lorraine, il prit son parti et marcha jour et nuit. Le 14 juin, il passa la Seine à Corbeil, l’Yères à Brunoy, traversa encore un ruisseau encaissé, le Réveillon, sans se laisser arrêter par les difficultés du terrain, par les bois dont le pays est couvert. Dans la matinée du 15, il arrivait à Grosbois et s’établissait hardiment sur le flanc des Lorrains.

Charles IV était au milieu de ses troupes. Il fit savoir aux Princes qu’il allait être attaqué : « Ses positions étaient belles ; il était résolu à combattre et voulait donner ce divertissement aux dames. » Était-ce bien sincère ? Oui, dans une certaine mesure. La cour se croyait assurée de lui : il y avait parole, et même traité ; mais il y avait aussi parole de l’autre côté. Jusqu’au dernier moment, Charles IV s’était réservé le choix de la trahison la plus avantageuse à ses revendications, la plus conforme à ses rancunes. C’était, évidemment, du côté de la cour qu’il rencontrait ces satisfactions ; mais il trouva la manœuvre de Turenne presque insolente, fut blessé du ton de quelques messages ; et quand il vit le maréchal sous sa main, quand il connut l’approche de l’armée des Princes, la tentation de combattre avec de bonnes chances de succès le saisit un moment. Ce n’est pas une résolution ferme ; il continue de peser le pour et le contre.

Cependant Condé a sacrifié jusqu’à cette fierté militaire que le duc d’Anguien opposait jadis aux prétentions du duc de Lorraine. Aujourd’hui, il prend les ordres de Charles IV, le supplie « de gagner un peu de temps ; demain 16, il lui mènera les troupes qui arrivent d’Etampes ; puis il restera près de lui sans commandement, servira comme volontaire. Paris enverra force bourgeois solides[1]. » M. le Prince rejoint aussitôt ses troupes à Saint-Cloud ; le 16 au matin, il marche à leur tête, se dirigeant sur le pont de Villeneuve-Saint-Georges.

Ce même jour, 16, de bonne heure, M. de Beaufort se rend au camp des Lorrains avec la cavalerie parisienne. Pas de postes, pas de vedettes. Personne ne vient reconnaître. Beaufort en fait la remarque au premier officier qu’il rencontre. — « Mais l’accord est conclu avec la cour. Notre armée s’en va ! »

Turenne avait vigoureusement soutenu la hardiesse de son offensive. Il connaissait bien l’homme qu’il avait devant lui, ses habitudes, ses engagemens et leur valeur. C’était un de ces momens où la guerre devient surtout un art et ne peut être conduite selon les règles absolues de l’arithmétique ou de la

  1. Marigny à Lenet, 16 juin 1652.