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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/19

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s’engage sur la presqu’île ; il lui convient même de l’y appeler, de l’y retenir, son but étant de se dérober pour gagner Charenton, s’arrêter dans la langue de terre entre la Seine et la Marne, et marcher ensuite au-devant de ce secours qu’il espère toujours voir venir du nord ou de l’est. Mais comment arriver à Charenton ? — Par la rive gauche, en tenant les hauteurs de Meudon, puis la plaine de Grenelle, les faubourgs Saint-Germain et Saint-Victor ? M. le Prince y pensa, discuta même le projet avec ses officiers, le reconnut impraticable. Impossible d’être à Charenton avant Turenne ; et puis comment faire remonter l’équipage de pont ? où passer la Seine ? — Il faut donc user du pont de Saint-Cloud ; pourra-t-on traverser Paris ?

La ville semble résolue à fermer ses portes ; peuple, bourgeois, magistrats, tous sont unanimes ; il n’y a qu’un cri. Ce n’était pas le sentiment de la veille ; ce ne sera pas celui du lendemain ; c’est le courant d’aujourd’hui. Et les représentans du Roi, le gouverneur de Paris, maréchal de L’Hôpital, le prévôt des marchands, Antoine Le Fèvre, si effacés, si oubliés, se trouvent tout à coup entourés, choyés ; surpris de ce retour d’opinion, ils s’empressent de multiplier les consignes que la milice bourgeoise appliquera rigoureusement. Le duc d’Orléans est des plus fermes ; la moitié des troupes qu’on va sacrifier sont à lui ; mais plutôt perdre ses régimens que sauver Condé. Cette jalousie qui le dévore peut enfin se faire jour : il confirme, il redouble les ordres donnés par le gouverneur de Paris.

Cependant les troupes des Princes se sont repliées par échelons, commencent à défiler sur le pont de Saint-Cloud (1er juillet). Leurs bagages les précèdent, si grande est la hâte d’entrer en ville. Mais la porte de la Conférence reste close ; les voitures s’accumulent, encombrent le chemin. Le soir est venu. On parlemente. M. le Prince est autorisé à traverser Paris seul ; pas un soldat, pas un chariot ne pourra le suivre. Il faut faire reculer la colonne de troupes, la ramener vers Chaillot ; les équipages feront demi-tour et suivront. La route est donnée à mi-côte par la Ville-l’Évêque, les Porcherons, pour redescendre sur Popincourt. La nuit est sombre, le détour long ; on marche lentement par de mauvais chemins, coupés d’égouts, de fossés. Le 2 juillet avant l’aurore, M. le Prince sort de Paris par la porte Saint-Martin, envoie aussitôt des reconnaissances vers La Chapelle, à Montfaucon. Les éclaireurs sont ramenés par ceux de l’ennemi ; un corps de cavalerie assez nombreux attaque l’arrière-garde et la pousse jusqu’à la porte Saint-Martin, qui ne s’ouvre pas ; c’est de mauvais augure. M. le Prince dut charger en personne pour mettre fin à cet