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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

des fanfares d’opérette-bouffe. La mère a quitté le mouchoir de tous les jours, et arbore crânement le tarbouch à gland d’or, posé sur l’oreille et rouge comme un coquelicot. Le père, soigneusement rasé et brossé, oublieux de sa boutique de bakal ou de son γρααφεῖον (grapheion) d’employé, salue ses nombreuses connaissances d’un kaliméra (bonjour), joyeusement donné. Jouir du beau temps, et se montrer, tout le bonheur des Grecs est là. Rester chez soi, quand on n’y est pas forcé par la pluie ou par le soleil, est un signe de deuil ou une marque d’infortune. Un marchand grec ruiné disait un jour à un Français : « Nous étions autrefois parmi les archontes, maintenant, nous sommes pauvres, je n’ose plus me montrer ni parler à personne. »

Les gens modestes, ouvriers endimanchés, matelots en permission, commis échappés du comptoir, vont s’asseoir à mi-côte sur le Lycabète, et chantent, toute la journée, avec des intonations très nasales, d’interminables et monotones cantilènes. Les plus raffinés se mettent à douze pour acheter un agneau, vont le faire rôtir en plein champ, à Kephissia ou à Ambélokipi, le mangent, en l’arrosant de vin résiné, et reviennent, le soir, en se promettant de recommencer l’année prochaine. Éviter autant que possible le poids du temps, faire que les heures soient faciles et légères, c’est pour eux le but de l’existence. Souvent, quand vous causez avec un homme du peuple, et que vous lui demandez la raison de tel ou tel amusement, il vous répond, en clignant de l’œil : Ἐ, περναϊ ἡ ὥρα (E, pernaï hê hôra). (Eh ! l’heure passe.) Leur paresse affairée est juste l’opposé de l’apathie sommeillante des Turcs. Ils ne fuient pas précisément le labeur, surtout quand il est facile et bien rétribué ; mais ils le cherchent sans passion et l’oublient sans regret. Là-bas, les ouvriers sans travail ne récriminent pas, au contraire. Un de mes amis avait embauché quelques ouvriers à la journée pour une besogne qui demandait à peu près une semaine de travail. Au bout de trois ou quatre jours, ces bonnes gens l’abordent respectueusement, et lui disent : « Nous avons maintenant gagné de quoi vivre pendant un mois, nous voulons nous en aller. » Comme leur pays de montagnes exquises et nues, ces grands enfans semblent dédaigneux de produire. Leur langue désigne le travail par le mot δουλιά (doulia), qui veut dire servitude.

Au printemps, ainsi que pendant l’automne, le monde élégant se promène, de dix heures à midi, aux environs du palais du roi. Vers dix heures, le poste qui veille aux portes de ce palais est relevé par la garde montante. Une section en armes et une musique vont chercher le drapeau chez le commandant de place, boulevard du Stade, devant la chambre des députés. Dès que le porte-drapeau apparaît dans l’embrasure de la porte, on entend le commandement : παρου-