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beaucoup à faire dans le royaume de Prusse comme dans l’empire allemand.

Dès qu’il fut hors de page, Guillaume II se fit un devoir d’avertir ses sujets que désormais c’était lui qui gouvernerait : — « Il n’y a qu’un maître dans le pays ; ce maître, c’est moi, et je n’en souffrirai aucun autre à côté de moi. » — « Brandebourgeois, disait-il encore, un esprit de désobéissance s’est répandu parmi nous ; de faux docteurs s’appliquent à égarer mon peuple et les hommes qui me sont dévoués. Votre margrave vous parle, suivez-le à travers tous les obstacles, durch dick und dünn, dans tous les chemins où il vous conduira. Vous pouvez être certains qu’il n’aura jamais à cœur que le salut et la grandeur de notre patrie. »

Un souverain résolu à pratiquer une politique toute personnelle, à ne suivre que ses propres inspirations, doit choisir à cet effet ses serviteurs et ses ministres en s’assurant de la souplesse de leur caractère, et Guillaume II ne pouvait conserver auprès de lui des hommes qui avaient pris des engagemens qu’ils répugnaient à rompre. Ceux qui l’accusent de tout changer par amour du changement, de céder à l’inquiétude de son humeur, d’avoir du goût pour le papillonnage, lui font tort et ne le connaissent pas. Si dans la seule année 1888 il a mis à pied 65 généraux et 156 officiers d’état-major de toutes les armes, c’est qu’il se proposait d’introduire d’importantes réformes dans l’armée et qu’il savait combien les barbes grises tiennent à leurs habitudes, à leurs routines, à leurs préjugés. Il s’était promis d’être son propre chancelier, son propre président du conseil, comme en cas de guerre il voudra, selon toute apparence, être son propre chef d’état-major. Il s’est séparé, quoi qu’il lui en coûtât, de tous les hommes qui passaient pour jouir de sa confiance, pour exercer quelque empire sur ses résolutions. Il a renvoyé le haut maréchal de sa cour et de sa maison, M. de Liebenau, qui avait été attaché treize ans à sa personne, mais qui se permettait d’avoir des opinions et des préférences. Il a éloigné le comte Waldersee. Il a sacrifié le prédicateur de la cour, M. Stœcker, qui l’aurait vu avec plaisir, disait-on, renoncer volontairement à quelques-unes de ses prérogatives d’évêque de l’église luthérienne, de summus episcopus. Guillaume II ne voulait renoncer à aucun de ses droits, et aucun ne lui est plus cher que celui de choisir comme il l’entend ses amis et ses ennemis.

Les pamphlétaires que M. de Bismarck inspire et qui font une guerre acharnée aux ministres de la nouvelle ère, reprochent amèrement à l’empereur d’avoir affaibli les ressorts du gouvernement en s’entourant de conseillers inférieurs à leur place, dépourvus de toute autorité : — « Les hommes qui ont l’étoffe d’un bon sous-secrétaire d’État ou d’un excellent colonel, lit-on dans une brochure intitulée :