seul, un grand coupable, c’était l’envoyé anglais, ou plutôt le cabinet britannique lui-même dont ces préliminaires prétendus improvisés n’avaient fait que mettre au jour les frauduleux desseins, conçus déjà de longue date. De ce côté tous les soupçons étaient enfin justifiés, et dès lors l’irritation de l’impératrice portée à son comble. Que Saint-Séverin eût manqué d’égards, en se dérobant à la dernière heure à un arrangement presque conclu, qu’importait qu’il eût même usé de ruse pour cacher son jeu : et qu’était-ce auprès du trait bien plus noir de l’Angleterre oubliant une amitié presque séculaire et jetant au vent la foi jurée par vingt traités différens ? On pardonne plus volontiers le stratagème d’un adversaire que la trahison d’un ami. Et quelle joie ne serait-ce pas pour l’impératrice de profiter à son tour des irrésolutions, des artifices mêmes de la France et de sa politique à double face pour retourner contre cette alliée infidèle l’instrument qu’elle avait forgé et la faire tomber à son tour dans le piège qu’elle avait tendu !
Il faut ajouter que l’impératrice fut appuyée dans cette ligne de conduite un peu hasardeuse par ses meilleurs conseillers. Le vieux Bartenstein, en particulier, entra presque de lui-même dans la pensée, au lieu de repousser les préliminaires en bloc et en principe, d’y pénétrer en quelque sorte pour en modifier le détail, en changer l’esprit et en prévenir les effets. Envieux praticien qu’il était, portant dans les affaires politiques l’esprit de procédure et presque de chicane juridiques, il examina article par article, disséqua en quelque sorte le document, et n’eut pas de peine à y reconnaître les traces d’une précipitation irréfléchie. Des points nécessaires à résoudre avaient été omis, et la difficulté se retrouverait à l’exécution. D’autres avaient reçu une solution imparfaite et obscure qui donnerait lieu entre les contractans à de nouvelles dissidences et peut-être à de longs débats. Dans le cours de ces contestations inévitables, l’Autriche, appuyée comme elle pouvait l’être par l’Espagne (dont la colère à ce premier moment n’était pas encore calmée), trouverait l’occasion de présenter et peut-être de faire prévaloir ces justes griefs. Le tout était de savoir si la France était sérieusement disposée à se prêter à cette métamorphose insensible de l’œuvre qu’elle avait elle-même préparée. C’est ce que Kaunitz fut chargé de tirer au clair, « car en ce cas, lui disait une lettre officielle, il y aurait remède à tout[1]. »
L’impératrice développa elle-même cette instruction dans une longue dépêche dont la rédaction confuse était, suivant son habitude, parsemée et comme éclairée par des traits lumineux. Après
- ↑ Uhlfeld à Kaunitz, 13 mai 1748. — Beer. Friede von Aachen. Archives de l’histoire d’Autriche publiées par l’Académie de Vienne, t. XLVII, p. 34.