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et devait précéder l’acte formel d’adhésion aux préliminaires. Kaunitz n’hésita pas à en donner connaissance à Saint-Séverin qui ne fit pas difficulté non plus d’en prendre lecture. Il n’y présenta aucune objection positive, indiqua même quelques modifications à faire qui furent insérées, suivant son conseil. Il ne pouvait se dissimuler cependant que, sous une forme ambiguë, et moyennant quelques précautions de langage qui ne pouvaient tromper personne, la pièce à laquelle il collaborait ainsi avait pour effet d’écarter implicitement un des articles des préliminaires et de donner à un autre une très grave extension et que ces points étaient de ceux auxquels son collègue anglais attachait un prix tout particulier. La manœuvre allait donc assez directement à altérer le texte et encore plus l’esprit de l’acte dont il était lui-même l’auteur principal. Il sentait si bien ce que ce procédé avait de louche, sinon de positivement déloyal, qu’il n’en rendait à son ministre qu’un compte imparfait et très atténué. — « M. de Kaunitz, écrivait-il, m’a témoigné ne vouloir se déterminer que d’après mon conseil. Le rôle est difficile à jouer : je crois m’en être tiré de manière à ne laisser naître aucun soupçon sur notre fidélité à remplir nos engagemens, mais d’une façon à ne pas nous aliéner absolument la cour de Vienne, mais plutôt à l’entretenir dans de certaines dispositions pour la retrouver au besoin. »

Pas un mot de la confidence qu’il avait reçue et de l’accueil qu’il y avait fait. À plus forte raison, n’en donna-t-il aucun avis à Sandwich, avec qui il restait en rapports journaliers, dans des termes d’intimité et de confiance apparens, et qui devait être à cent lieues de soupçonner l’atteinte qu’il laissait porter à leur œuvre commune[1].

Naturellement, quand la déclaration fut communiquée aux envoyés d’Angleterre et de Hollande, ceux-ci se récrièrent et déclarèrent d’un commun accord qu’ils ne pouvaient accepter qu’une adhésion pure et simple et ne se prêteraient à aucune réserve. Obligé à son tour de s’expliquer, Saint-Séverin s’en tira par une équivoque. — « Je pris la parole, dit-il, et je dis que comme Sa Majesté n’avait pris aucune part aux traités de Worms, de Breslau et de Dresde, je ne pouvais rien dire sur ce point et que je m’en tenais à l’accession aux préliminaires. » C’était conclure comme ses collègues, mais en s’appuyant sur un motif que Kaunitz, croyant l’entendre à demi-mot, pouvait prendre pour un encouragement. Aussi ce ministre se borna-t-il à répondre qu’il n’avait rien à retrancher, ni

  1. Kaunitz à Marie-Thérèse, 26 mai 1748. (Archives de Vienne.) — Beer. Friede von Aachen, p. 42. — Saint-Séverin à Puisieulx, 24 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)