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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/260

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pas que depuis ce jour-là le roi de Sardaigne était devenu la marotte de l’Angleterre : « Quant à nous, ajouta-t-il, nous offrons à la France une réconciliation royale et solide : l’établissement de l’infant Philippe deviendra par notre concert aussi sûr que stable : nous lui servirons pour ainsi dire de garde du corps et… nous ne demandons qu’une seule chose à la France qu’il lui est très facile de nous accorder, c’est de ne prendre aucune part à ce qui se fera relativement à l’exécution du traité de Worms… Ce sera à nous à voir ce qu’il nous conviendra de faire, et nous n’aurons pas même besoin de recourir à des voies de fait : car le pays est tout ouvert, et la citadelle de Plaisance est la seule place de quelque défense,.. mais il nous faut quelque chose de plus que des paroles, et c’est jusqu’à présent tout ce que j’ai pu donner à ma cour. Quelque illimités que soient les pouvoirs qu’elle m’a donnés et quelque confiance qu’elle ait en moi, cependant comme dans les cours les sentimens sont différens, je voudrais bien que l’on pût ne me rien reprocher… Pour offrir donc des sûretés à ma cour, je voudrais que le comte de Saint-Séverin me donnât un écrit en forme de déclaration de lettre ou de quelque autre manière que ce soit, car je me prêterai à la forme qu’il voudra choisir,.. qui nous donnât l’assurance que nous avons les mains libres et que ni la France, ni ses alliés ne s’opposeront à ce que nous voudrons entreprendre. » Et ce disant, il tira de sa poche un petit papier écrit d’avance et portant que « Sa Majesté Très Chrétienne n’avait pris aucune part aux traités de Worms, de Breslau et de Dresde et que, par conséquent, par les articles des préliminaires où il est fait mention des cessions déjà faites par Sa Majesté l’impératrice, Sa Majesté Très Chrétienne n’entend point avoir rien ajouté ni ôté à la valeur de ces cessions. »

La communication ainsi faite dépassant par sa nature même la compétence d’un simple chargé d’affaires, Tercier n’avait qu’à s’incliner en promettant de la transmettre. Mais c’était un esprit droit et simple, nullement mêlé, et probablement n’entendant rien aux finesses de son supérieur ; il avait prêté sa plume réputée très habile à la rédaction des préliminaires ; c’était lui qui avait été envoyé pour en porter le texte à Versailles. L’idée d’en altérer le sens naturel par une sorte de restriction mentale imaginée après coup lui causa une surprise qu’il eut peine à dissimuler : et effectivement, sans y être préparé d’avance, il était difficile de comprendre par quelle subtilité de conscience on pourrait souscrire une convention d’une main et de l’autre prendre l’engagement d’en laisser annuler, en fait, une des clauses les plus importantes[1].

  1. Tercier à Puisieuh, 15 juin 1748. (Conférence de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)