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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/262

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préférence à la sienne, et ce système, qui ne peut être encore qu’en perspective, a déjà commencé depuis quelque temps à faire faire de sérieuses réflexions à la reine de Hongrie, et cette appréhension vraie ou fausse peut nous servir utilement : mais il faut pour en tirer parti que nous ayons l’air d’ignorer tout cela. »

Sur un esprit ainsi disposé, on peut juger quelle impression avait dû produire la déclaration pleine de restrictions et de réserves dont l’Autriche avait fait précéder son accession aux préliminaires : « C’est la pièce la plus captieuse, s’était-il écrié, qui soit sortie de la boutique de Bartenstein. » Saint-Séverin ne fut pas pressé, on le conçoit, de se vanter d’y avoir mis la main. Il aurait craint de s’attirer cette réponse méritée : c’est que, s’il y avait dans les préliminaires des articles dont l’Autriche pouvait réellement se plaindre, c’était en les rédigeant qu’il aurait dû y songer, et qu’il était trop tard pour réparer l’imperfection de son œuvre par des voies obliques et des interprétations subtiles[1].

Aussi dut-il revenir à Aix-la-Chapelle, ne rapportant rien qui répondît à l’attente impatiente de Kaunitz et aux espérances qu’il lui avait laissé concevoir. En revanche, des propos flatteurs, des complimens empressés pour lui et sa souveraine de la part du roi, du ministre et de toute la cour, y compris Mme de Pompadour, il en revenait, dit-il, les mains pleines et, effectivement, il s’en montra prodigue. Tout le monde regrettait, assura-t-il, les malentendus qui avaient divisé les deux cours et les fausses mesures auxquelles le dernier ministre s’était laissé entraîner, contrairement aux véritables intérêts de la France ! A l’avenir, il fallait vivre des deux parts sur un pied de confiance et de cordialité réciproque, et la France, pour sa part, était décidée à travailler, non-seulement au maintien, mais à l’agrandissement de la maison impériale. Mais, pour le présent, les préliminaires étant signés, il fallait les exécuter, l’honneur du roi ne lui permettant pas de rien faire qui parût tendre à en éluder l’obligation.

A part cet objet, sur tout autre point la France était prête à rendre à l’Autriche tous les services qui étaient en son pouvoir, et il en était un en particulier qu’elle offrait tout de suite et de grand cœur. On avait de bonnes raisons de croire que le roi de Prusse songeait à embrasser la religion catholique et qu’il avait même fait prier le pape de lui envoyer deux missionnaires pour l’éclairer. Cette conversion ne pouvait avoir d’autre but que de préparer une candidature à la dignité impériale au détriment du jeune archiduc qui n’était pas encore déclaré roi des Romains : la France

  1. Puisieulx à Saint-Séverin, 22-26 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d'Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)