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rendez-vous où ils avaient hâte d’arriver, ils n’étaient plus attendus, ni désirés par personne[1]

Cette attitude des Russes qu’on voyait se porter en avant d’un pas précipité, comme pour arriver à temps sur un champ de bataille au moment où tout le monde croyait à la paix conclue, — ce retard inexplicable d’une solution qu’on avait saluée d’avance comme certaine, répandirent bientôt dans toute l’Europe un trouble et un malaise général, d’autant plus qu’on apprenait en même temps que l’Autriche rassemblait des troupes sur le Tessin, et paraissait prête à les mettre en campagne. Le but de cette démonstration ne pouvait être (nous le savons), de la part de l’impératrice, que de se préparer à défendre contre le roi de Sardaigne, ou à reprendre sur lui les territoires qu’elle se repentait de lui avoir cédés. Mais pour ceux qui ne connaissaient pas ce dessous de cartes, on pouvait croire que, ne s’étant pas fait comprendre dans l’armistice, elle méditait quelque coup de main, et Richelieu, toujours enfermé dans Gênes, aussi bien que Belle-Isle qui avait enfin été prendre le commandement de l’armée d’Italie, se mettaient en garde pour ne pas se laisser surprendre. On entendait ainsi de tous côtés le bruit des armes et on se voyait prêt à rentrer dans les épreuves dont on se croyait sorti. C’était une consternation universelle, et de toutes parts on se retournait vers les signataires des préliminaires pour leur demander compte des fausses espérances qu’ils avaient fait naître et de l’attente dans laquelle ils laissaient languir ceux qui s’étaient fiés à leur parole[2].

Saint-Séverin était peut-être moins troublé qu’un autre d’une émotion qu’il avait dû prévoir, et dont la cause était en partie imputable aux encouragemens secrets qu’il avait donnés à la résistance de l’Autriche. Mais il n’en était pas de même de ses associés Sandwich et Bentinck, qui se sentaient compromis aux yeux de leurs concitoyens et placés, par le retard qui suivait leurs promesses, dans une position fausse dont ils avaient hâte de sortir. Leur impatience contre les difficultés suscitées par l’Autriche (dont ils ignoraient l’origine) était très vive et s’exprimait en termes amers. Ils demandaient instamment qu’à tout prix on en finît, et, pour couper court à toute hésitation, qu’on procédât à l’acte définitif, comme on avait fait pour la convention provisoire, c’est-à-dire en recevant tout de suite les signatures qui seraient prêtes et en laissant le

  1. Coxe, Pelham administration. — Frédéric à Chambrier, 15 juin 1748. — (Ministère des affaires étrangères.) — Pol. Corr., t. V, p. 3. — Droysen, t. III, p. 477. — Le ministre de Prusse à Saint-Pétersbourg dit qu’on a été frappé de la signature des préliminaires comme par un coup de tonnerre.
  2. Coxe. Pelham administration, t. Ier, ch. XVII, et t. II, ch. XVIII.