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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/29

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Du haut de son observatoire, M. le Prince a tout vu, tout compris ; il fera face à tout. Son armée va entrer dans Paris ; mais elle ne sera pas « poussée ; » ce sera une manœuvre plutôt qu’une retraite ; s’il ne survient pas d’accident, aucun des résultats obtenus ne sera perdu. Tavannes est auprès de lui ; c’est le seul officier-général que le feu ait épargné ; il a fort bien fait tout le jour et dirigera l’opération. Les mestres-de-camp sont là aussi, écoutant les dernières instructions de Condé : ce qui importe, c’est d’éviter l’encombrement. Le gros de la cavalerie reprendra le chemin de Popincourt, gagnera le faubourg du Temple ; la même fée qui a ouvert la porte Saint-Antoine a aussi rompu le charme de ce côté. Les voitures laissées en arrière vont pénétrer dans Paris par cette voie. La cavalerie les suivra après les avoir protégées, s’il y a lieu, contre le mouvement tournant qui se dessine. Quelques escadrons sont en observation du côté de Bercy et de la Râpée. D’autres, répartis par pelotons dans les cours et jardins du faubourg, assisteront l’infanterie dans son mouvement rétrograde.

Cette infanterie a bien employé le répit qui lui a été accordé, se remettant en ordre, complétant certains travaux de défense et de communication ; ses échelons sont formés et se replieront méthodiquement de poste en poste le long des trois rues, bien reliés ensemble, exécutant ainsi une retraite générale en échiquier. Elle emmènera l’artillerie. C’est le prince de Tarente qui fera l’arrière-garde avec le régiment de a Bourgogne. » Les chantiers de la contrescarpe et de la halle ont permis de construire, en avant du glacis de la Bastille, une façon de réduit où les derniers arrivans trouveront un abri contre un suprême effort de l’ennemi. Une centaine de mousquetaires sont distribués sur la courtine de l’Arsenal pour soutenir le courage des compagnies bourgeoises qui viennent d’y prendre le service. Bien que cette garde montante soit favorablement disposée, il y a encore une inconnue à dégager, et l’épreuve n’est pas complète. La ville a ouvert ses portes à M. le Prince ; mais, pour emprunter un moment le langage figuré de l’Arabe, Paris fera-t-il parler la poudre contre, — on n’ose pas dire contre le Roi, — contre Mazarin ?

Tous les ordres sont donnés. La chaleur est toujours accablante. M. le Prince descend du clocher, traverse le préau ; la fraîcheur du tapis vert qui s’étend sous ses pieds à l’ombre de grands arbres le tente, l’attire. Soudain il jette ses armes, ses habits, et, tout nu, comme un poulain sauvage, il se roule dans l’herbe touffue. Après ce bain improvisé, il se fait vêtir et armer, saute à cheval, et donne un dernier coup d’œil au dispositif de son armée. Le moment est venu. Les avant-postes envoient une décharge pour