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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/290

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consolation à la vanité française : ce fut celle qui stipulait que pendant l’intervalle de quelques semaines qui devait s’écouler entre l’évacuation des Pays-Bas et la restitution de Louisbourg, deux pairs d’Angleterre viendraient en France pour y être gardés en otages. Paris vit passer ces deux seigneurs avec une curiosité polie, et la cour les reçut avec une courtoisie de bon goût, non sans se divertir un peu à suivre sur leur visage la trace du léger embarras qu’ils devaient éprouver, et dont, du reste, en gens de bonne compagnie, ils prenaient galamment leur parti.

Tout se serait donc passé paisiblement, et la légèreté française, si prompte à tout oublier, aurait bientôt fait taire critiques, louanges et discussions de toute sorte, quand un scandale inattendu vint jeter une triste lumière sur l’une des faces les plus douloureuses de la nécessité qu’on avait dû subir. L’engagement était pris, en termes très nets, bien que sous une forme mitigée, d’éloigner de France le jeune et brillant guerrier qui avait eu un instant la bonne fortune de disputer la couronne d’Angleterre à la dynastie protestante. L’exécution était pénible, et par là même, il convenait de la faire sans éclat. Rien ne devait faire prévoir qu’on dût rencontrer aucun obstacle sérieux. Pareil sacrifice avait été imposé à Louis XIV après les malheurs de ses dernières guerres, et le chef de la maison de Stuart, celui à qui toute la France rendait les honneurs royaux sous le nom de Jacques III, acceptant sans murmure ce surcroît de proscription, s’était retiré à Rome et trouvait dans cet asile des grandeurs déchues une situation conforme à la dignité de son rang et de son caractère. On devait espérer du prince, son fils, la même résignation aux exigences de la politique et aux caprices de la fortune. Il n’en fut rien : le jeune héros, au milieu des péripéties tour à tour glorieuses et romanesques qu’il avait traversées, s’était accoutumé à voir son nom répété par les échos de la renommée ; il était en France l’objet d’une curiosité admirative dont il recevait à toute heure les témoignages les plus flatteurs ; il se consolait d’ailleurs de ses disgrâces en prenant sa part des plaisirs de la capitale. Il lui en coûta trop de rentrer dans l’obscurité et l’isolement, où s’était écoulée son enfance. Quand il reçut l’invitation de se retirer sans bruit, il déclara hautement qu’il n’y déférerait pas, laissant en même temps entendre qu’il avait en main une lettre (qu’il ne montra pourtant pas), par laquelle Louis XV s’engageait à ne pas l’éloigner de sa présence, tant qu’il n’aurait pas pu lui assurer un établissement convenable. Tous les moyens furent mis en œuvre pour vaincre cette puérile obstination. On lui fit envoyer de Rome, par son père, l’injonction de se conformer au désir du roi. Pour lui épargner l’ennui de retourner au point dont il était parti, on lui ménagea aux portes de France,